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7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 03:51

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Amy Winehouse à Londres

 

Quatre mois après le choc de sa disparition, un album posthume fait resurgir la chanteuse solaire et romantique derrière l’icône tragique et trash. Critique et écoute.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Mais la sobriété peut tuer. C’est la leçon tragi-comique que l’on peut tirer de la mort d’Amy Winehouse. Fin octobre, les enquêteurs ont rendu leurs conclusions : le 23 juillet, la chanteuse a succombé à une consommation excessive d’alcool alors qu’elle était en sevrage. C’était le passage de la comète Amy (1983- 2011). Elle a traversé le ciel en zigzag, du coup un peu plus bleu, puis est partie à 27 ans avant qu’on ait eu le temps de lui dire qu’on l’aimait, back to black pour l’éternité. Plus personne ne la forcera à partir en détox, non, non, non.

Amy Winehouse était entrée dans l’inconscient collectif de la culture pop en 2007, avec ce refrain sale gosse et autobiographique de la chanson Rehab : “They tried to make me go to rehab/ I won’t go go go”. A part ça, qu’a-t-on retenu de la plus petite (1,57 m) grande chanteuse des années 2000 ? Une silhouette de Betty Boop sousalimentée, belle et rebelle comme un tatouage sur le bras d’un taulard. Une voix de chat de gouttière qui aurait croqué une souris ivre. Les clichés terribles d’une vie vraiment trop rock’n’roll.

Depuis le succès phénoménal de l’album Back to Black – la comète au zénith –, on avait surtout suivi ses frasques, sa déchéance, son addiction – les images pathétiques de pocharde hagarde, les concerts annulés ou sabotés par une diva divagante… Ça, c’est le refrain. Mais dans Rehab, on a eu tort d’oublier le premier couplet, celui qui disait : “Je serais mieux à la maison avec Ray (…) Il n’y a rien que tu puisses m’enseigner que je ne puisse apprendre de M. Hathaway.

Qui sont donc ces messieurs Ray et Hathaway qui paraissaient valoir tous les médecins aux yeux d’Amy Winehouse ? Le premier, c’est Ray Charles et le second, Donny Hathaway. Deux géants de la soul américaine, deux voix, profondes et satinées, de guérisseurs auprès desquels il est toujours bon de chercher refuge.

Ces dernières années, pas grand-chose ne nous a été épargné de l’intimité déglinguée d’Amy Winehouse. Mais nous, on aurait aimé savoir si elle chantait sous la douche, quel disque elle mettait quand elle allait mal et si elle allait mieux après. Parce que c’est tout ça qu’on entend dans les chansons et la voix sans fard d’Amy : un amour pur, absolu et sans conditions de la musique, aussi vital qu’une bouée de sauvetage, ou une autre addiction.

Après sa disparition, on a continué à lire et entendre des choses inconséquentes et exagérées sur son compte. Forcément plus grande morte que vivante, elle aurait donc accédé au statut d’icône éternelle, Billie Holiday du XXIe siècle, naissance d’un culte et tout le bla-bla nécrologique habituel. Des costumes de star immortelle, beaucoup trop grands pour elle, elle qu’un rien habillait. Amy Winehouse n’est ni Aretha Franklin ni Nina Simone. Une voix exceptionnelle, oui, mais avec l’ambition et le plan de carrière d’une chanteuse de bar, d’une fille normale sur qui le succès serait tombé comme on gagne au Loto. Son truc à elle, c’était juste se défoncer la tronche et chanter à l’ancienne, le plus honnêtement possible, pour se faire du bien, pour soulager son coeur, comme on chiale un bon coup. La production rétro de ses deux albums indique qu’elle ne chantait pas pour la postérité mais plutôt par nostalgie d’un âge d’or fantasmé de la musique pop – les années 50-60, le jazz, la soul, les rythmes jamaïcains des origines. Toutes ces musiques des Amériques qui depuis un demi-siècle ont trouvé une terre d’asile en Angleterre.

Son compagnon de débauche, Peter Doherty, ne veut plus rentrer chez lui parce qu’il pense que sa maison londonienne est hantée par le fantôme de son ancienne copine. Ça ne fait qu’à moitié rigoler. Parce que de son vivant déjà, Amy était un fantôme, un médium, un anachronisme, une voix de jadis et d’ailleurs habitant le corps menu d’une jeune femme d’aujourd’hui, sans doute aussi mal dans sa peau que dans son époque. Amy était un juke-box humain. Ou une éponge à musique. Ou un coup d’éponge sur le juke-box. Et ce n’est pas le posthume Lioness: Hidden Treasures, sa troisième sortie, qui va nous prouver le contraire.

Ce disque n’est pas un nouvel album d’Amy Winehouse, plutôt un compromis entre une compilation de raretés et un embaumement. Et ce n’est certainement pas une collection de demos, de versions brutes ou de fonds de tiroirs – aux dernières nouvelles, il existerait une douzaine de chansons inédites à l’état d’ébauche mais leur sortie n’est pas prévue.

Sur Lioness: Hidden Treasures, la voix d’Amy a été enregistrée de son vivant. En revanche, une partie de la musique et la production sont post-mortem, avec beaucoup de choeurs, de cordes et de suavité, comme une version panoramique et somptueuse de la variété soul orchestrée de la fin des années 60, comme si Amy Winehouse avait supervisé ce disque depuis le paradis, où tout va bien, où tout est clair, doux et harmonieux. C’est de la belle ouvrage, parfois un brin pompeuse mais digne.

Le disque a été réalisé par Salaam Remi et Mark Ronson, des hommes de confiance. L’Américain Salaam Remi, producteur de hip-hop (il a notamment travaillé avec les Fugees), a enregistré Frank, le premier album de Winehouse. Mark Ronson, DJ hip-hop anglais, a produit Back to Black (puis travaillé avec Lily Allen). En accord avec la famille de la défunte, ils se sont plongés fissa dans leurs archives pour en tirer une sorte de time line musicale, d’album photos retouché.

La chanson qui ouvre l’album est une reprise de Our Day Will Come, romance enregistrée en 1963 par les très oubliés Ruby & The Romantics, groupe primo-soul de l’Ohio. Le genre de chanson que l’on doit encore trouver en 45t dans quelques vieux juke-box anglais. Un tube, interprété plus tard par Cher, Isaac Hayes ou les Carpenters. Mais la version d’Amy Winehouse est coulée dans le moule de celle des Heptones, pionniers jamaïcains du rock-steady et du reggae. Et c’est une merveilleuse entrée dans Lioness: Hidden Treasures, languide et solaire, simple et légère, qui dédramatise complètement le sujet.

Le morceau le plus ancien date de 2002 : c’est la première chanson d’Amy enregistrée par Salaam Remi, une version de The Girl from Ipanema plus solaire que scolaire. La chanteuse, alors âgée de 18 ans, s’amuse, folâtre avec ce classique de la bossa-jazz. Le morceau le plus récent a été enregistré en mars 2011 aux studios Abbey Road de Londres avec le vénérable crooner Tony Bennett pour son album de duos. Ce Body & Soul, autre immense classique du jazz, arrangé à l’ancienne, Amy le chante d’une voix comme du velours humide, râpeuse et nonchalante, avec une classe hors d’âge. C’est son dernier enregistrement connu.

Ces deux chansons sont ce qu’on peut appeler de vieilles scies, des incontournables du répertoire, presque des exercices de style pour chanteuse de jazz. Bien que portée sur la bouteille, Amy Winehouse n’aimait pas le pastiche. Ces chansons rebattues, elle les traite comme les autres, les interprète comme les siennes, avec la même spontanéité gouailleuse.

La dernière chanson totémique, qui clôt Hidden Treasures, est A Song for You : une reprise de Leon Russell popularisée par Donny Hathaway, arrangée quasi trip-hop, qu’Amy chante (en 2009) au bout du rouleau, au bord des larmes et du précipice. Paroles prémonitoires et justes : “Et quand je serai partie/Souviens-toi de nous/ Nous étions seuls et je chantais cette chanson pour toi”.

Sinon ? Des versions de Valerie, Tears Dry et Wake up Alone (qu’on retrouve plus enlevées sur Back to Black), un Halftime de 2002 avec Questlove des Roots à la batterie (Amy projetait de monter un groupe de jazz avec lui), un Like Smoke à moitié réussi, sur lequel Salaam Remi a invité Nas à rapper, un peu trop vite et hors-sujet. Au final, ce disque très romantique est une bonne surprise et un soulagement. Il s’écoute d’une traite et en longueur, comme on s’immergerait dans un bon bain fumant. Hidden Treasures, trésors cachés… Ils auraient pu mettre le titre au singulier. Parce qu’en dépit de ses ventes de disques, de sa gloire mondiale et de la surexposition médiatique de ses dérives, Amy Winehouse donnait l’impression d’être le vrai trésor caché de son histoire, oubliée au fond du bar, chantant d’abord pour ellemême après l’heure de la fermeture.

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