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26 novembre 2020 4 26 /11 /novembre /2020 19:55

Le grand écrivain Keiichiro Hirano était l’invité de la Tokyo American Club TV le 13 novembre 2020, pour présenter son premier livre publié en traduction anglaise : A Man. Accompagné de son traducteur en langue anglaise pour cet ouvrage, Eli KP William, lui-même romancier par ailleurs, ainsi que d’une interprète japonais/anglais, il a une nouvelle fois démontré, avec une remarquable humilité de ton, la simplicité et la force de sa démarche d’auteur, deux atouts qui font sans doute son succès grandissant, non seulement au Japon, qui est son pays de naissance, mais aussi dans un nombre croissant de pays du monde.

 

La rencontre se déroulait dans une vaste salle aux couleurs chaudes et au design fonctionnel, traversée des lignes verticales de ses appliques tournées vers le haut, des lignes horizontales du large lambris mural, et de la fantaisie colorée des motifs géométriques de l’épaisse moquette. Chacun des participants, doté d’une table, était installé à plusieurs mètres de distance, ainsi que les membres du public, installés de plain-pied. Cet événement hybride ne réunissait qu’un public limité en présentiel pour des raisons sanitaires évidentes, l’essentiel des auditeurs étant installés chez eux devant leur écran.

 

Après une lecture des premières pages de son ouvrage, doublée en anglais par son traducteur, Keiichiro Hirano a commencé de répondre aux questions du journaliste chargé de l’interview-conférence. Le journaliste rappela le parcours de Keiichiro, cet auteur né le 22 juin 1975 à Gamagori dans la préfecture d'Aichi, Keiichiro Hirano a grandi à Yahata dans la préfecture de Fukuoka.

 

Étudiant en droit à Kyoto, profondément marqué par la lecture du Pavillon d'or de Yukio Mishima, Keiichiro fait ses débuts en littérature à l'âge de vingt-trois ans avec L’Éclipse, roman dont l'action se situe en France au XVe siècle. Publiée en 1998, cette œuvre remarquée pour son sujet atypique et ses kanjis inusités lui vaut le prix Akutagawa : il devient alors l'un des plus jeunes auteurs récompensés par ce prix. Conte de la première lune, publié dans la foulée, et Sôsô (Funérailles), long roman sur les vies de Delacroix et Chopin publié en 2002 et inédit en français, confirment son style imprégné de culture classique.

 

A partir de 2003, il signe plusieurs recueils de nouvelles qui le voient s'orienter vers des thèmes contemporains : un texte comme La Dernière Métamorphose évoque ainsi les hikikomoris.

 

Cette orientation se confirme par la suite à travers des essais, mais aussi de longs romans de genre comme Compléter les blancs, publié au Japon en 2011-2012, qui voit l'auteur se pencher sur le thème du suicide et développer le concept de "dividualisme". Par opposition à l’individualisme, ce concept propose une vision de l’Homme en tant qu’être multiple, à la personnalité divisée en plusieurs aspects qui se manifestent ou non en fonction des relations avec les autres. En 2018, il est lauréat du Prix Yomiuri pour Aru otoko.

 

Hirano revendique les influences de Yukio Mishima, Mori Ogai, Charles Baudelaire, Mircea Eliade mais aussi, pour ses longs romans, de Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Léon Tolstoï et Fiodor Dostoïevski. Il a vécu un an en France, au milieu des années 2000, en tant qu'ambassadeur culturel nommé par l'agence pour les Affaires culturelles du Japon.

 

Très actif sur Twitter, il prend fréquemment position sur des sujets comme le nucléaire et la politique menée par le gouvernement de son pays, s'opposant notamment au projet de loi de révision de l'article 9 de la Constitution japonaise.

 

A écouter Keiichiro Hirano, on se dit qu’il est très japonais. Ses prises de parole sont délivrées sur un ton mesuré, empreint d’une certaine réserve. Comme tous les participants de cette rencontre, il est assis sur une chaise et non debout. L’une tient un micro, l’autre virevolte pour souligner le contenu de son discours. Parfois, un sourire traverse son visage et laisse entrevoir un enfant sensible et volontiers rebelle, mais Keiichiro sait se tenir et respecter les codes. Quand il le faut. Reiko Saito, l’interprète japonaise, a une rude de tâche car Keiichiro développe volontiers ses réponses aux questions qui lui sont posées, dans une attitude d’exigence et de générosité à la fois.

 

Interrogé sur les origines de son goût pour l’écriture romanesque, Keiichiro Hirano explique qu’il a toujours lu beaucoup de romans, dès l’adolescence, quand il était au lycée. Très vite, il s’est mis écrire des récits, comme un prolongement du travail de lecture. Comme il ne savait pas exactement le métier qu’il souhaitait faire, il a suivi les conseils des adultes qui lui enjoignaient de se lancer dans une carrière de juriste. Il est donc entré en droit à l’Université de Kyoto.

 

Bien sûr, lui ne pensait pas vraiment devenir un juriste. Il se voyait assez mal travailler comme juriste d’entreprise. Pendant ses années universitaires, il a constaté que son désir d’écrire des romans allait croissant. Dès ses années de lycée, il développait une conscience des aspects politiques de son pays. En 1994 débutait la crise économique au Japon, qui mettait un terme aux décennies de la croissance d’après-guerre, ce qu’on a appelé à l’étranger le « miracle japonais ». Il régnait dès lors au Japon une « atmosphère fermée », comme le dit Keiichiro Hirano. C’étaient aussi les débuts d’internet, qui n’avait pas pris l’importance qu’il a aujourd’hui dans la société. Keiichiro étudiait le français et découvrait la littérature européenne.

 

A l’Université de Kyoto, il avait comme ses congénères beaucoup de liberté. L’Université de Kyoto n’était pas celle de Tokyo. Les tentations de sortir étaient moins nombreuses. Comme il s’agit d’une Université nationale, donc publique, il côtoyait des étudiants moins riches que dans une structure privée. Après les cours, certains allaient en bandes, beaucoup passaient leur temps dans des petits boulots pour arrondir les fins de mois, certains faisaient de la politique. Keiichiro lisait des romans. C’était pour lui la belle époque : du temps pour soi, des livres, on devine derrière ses mots une solitude volontaire, choisie, heureuse.

 

Quand le journaliste lui pose une question sur la genèse de son livre A Man, insistant sur les thèmes qui traversent ce roman, depuis le « mystère » qui fait penser à un roman policier jusqu’à des questionnements plus profonds sur l’identité, le bonheur, l’éthique et qui rendent tout étiquetage difficile, Keiichiro Hirano est évidemment dans son élément. Il a en effet beaucoup écrit, ces dernières années, sur le thème de l’identité, tentant de répondre à deux questions essentielles : Qui suis-je ? Qui j’aime ?

 

Concernant le « mystère », il juge utile de préciser qu’il ne lit pas de livres de mystère. Son objectif, dans l’écriture romanesque, consiste à rédiger des romans « en couches » : une première couche superficielle qui maintienne le lecteur en haleine et qui soit susceptible de toucher un large public puis, plus profondément, des couches qui touchent à la philosophie, aux problèmes d’identité, aux discriminations. « Depuis des années, c’est ce type de structure que je cherche à réaliser dans mes livres. » Cela fait à présent une décennie environ que la littérature de Keiichiro Hirano procède de la sorte.

 

« Le monde moderne est très complexe, » souligne Keiichiro Hirano. Il y a la vie dans les petites villes, qui est difficile à décrire et qui constitue l’une des formes de la réalité. Puis il y a le monde qui présentent les mass médias, celui des réseaux sociaux et d’internet. Tout cela représente plusieurs couches de la réalité. Il devient donc difficile de dépeindre le monde du terrain.

 

Avant de construire ses romans « en couches », il tendait à écrire des histoires constituées de plusieurs lignes parallèles, autrement dit composées de plusieurs récits noués ensembles, en passant de l’un à l’autre. C’était troublant pour le lecteur habitué à des récits linéaires ou aux « romans du moi » initiés par les japonais modernistes depuis la fin du XIXe siècle, mais cette forme de construction représentait sa marque de fabrique.

 

Le journaliste lui pose ensuite la question de ses « cibles » : quand il écrit, pense-t-il avant tout au lecteur japonais ou intègre-t-il le fait que ses récits pourraient toucher un lectorat mondial ? Keiichiro répond que Facebook et plus globalement internet permettent de toucher plus facilement les gens à l’international. Par exemple, le lien entre un auteur et son traducteur est désormais bouleversé. Jadis, ce lien passait par l’éditeur. Un traducteur qui souhaitait adapter un roman dans une langue étrangère devait contacter l’auteur au travers du filtre de l’éditeur. A présent, le contact peut se faire de manière beaucoup plus directe. De même, pendant le cours de la traduction, le traducteur qui rencontre un problème de détail peut poser une question à l’auteur et obtenir sa réponse dans la minute. Bref, l’échange à distance facilite grandement les choses.

 

L’un des thèmes essentiels pour Keiichiro Hirano est bien sûr la question de l’identité. L’écrivain éprouve fondamentalement et, sans doute, intimement, une difficulté à admettre que l’on puisse mettre des gens dans des cases. Il semble qu’il éprouve, comme nous l’avons écrit ailleurs, un sentiment de claustrophobie puissant qui est à la base de son écriture. L’individu devrait être considéré comme un individu libre et responsable, un être de volonté apte à se construire par lui-même. Il ne semble pas apprécier d’être considéré comme un « écrivain japonais ». Que veut dire, en effet, le fait d’être japonais, américain, ou originaire de Kyushu ? Pour lui, la classification mène droit à la discrimination. C’est la raison pour laquelle il a souhaité, dans A Man, écrire sur la troisième génération d’immigrés coréens, Zainichi. Les Zainichi sont les descendants de Coréens venus s'établir au Japon durant l'occupation de la Corée par le Japon, plus particulièrement durant la Seconde Guerre mondiale. Le terme japonais Zainichi signifie littéralement « qui reste au Japon ».

 

Les Zainichi constituent un sujet très japonais. Mais bien sûr, cela revient à écrire sur la xénophobie, et elle existe au Japon mais aussi aux Etats-Unis et ailleurs. « En écrivant, je pensais surtout au Japonais, d’où le sujet très local, mais ce thème peut à l’évidence parler aux Américains comme au monde. »

 

Au Japon, il existe le système unique du koseki. Le koseki est le registre familial au Japon ; c'est l'équivalent du livret de famille, notamment en France. Bien que des systèmes similaires aient été utilisés par le Japon par le passé, le koseki contemporain, qui concerne et recense tous les citoyens japonais, apparaît à la fin du XIXe siècle, peu de temps après la restauration de Meiji. La loi japonaise précise que tout foyer doit signaler les naissances, décès, mariages, divorces et délits à son autorité locale, qui compile ces informations dans un arbre généalogique détaillé. Si de tels évènements ne sont pas indiqués dans le koseki, ils ne sont pas officiellement reconnus par le gouvernement japonais. C’est pour Keiichiro Hirano la cause de discriminations, mais pas seulement de discriminations. Ce système pose des questions concernant les immigrés, et il existe des différences dans les discriminations. « Le système du koseki est très particulier au Japon. Comprendre le fonctionnement du système koseki, pour un étranger, c’est aussi comprendre le principe du fonctionnement des familles japonaises. »

 

En 1947, une loi a restreint le koseki à la famille conjugale, c'est-à-dire à un couple et ses enfants non-mariés. De 1946 à 1952, plusieurs centaines de milliers de personnes se virent privées de leur citoyenneté japonaise car, dans leur koseki, elles n'étaient pas enregistrées au Japon, mais en Corée, en Chine, à Taïwan ou ailleurs.

 

Par ailleurs, de nombreux problèmes surgirent de la destruction physique des registres du koseki pendant la guerre à la suite des bombardements et des incendies, en particulier à Okinawa. Bien que de nouvelles lois d'état civil soient entrées en vigueur dans les années 1950 et 1960, le koseki garde sa prééminence, alors qu'il est antérieur au Code civil japonais (1896), à la Constitution Meiji (1889) et au Code de la Nationalité (1899). L'inscription au registre national reste souvent impossible sans un koseki. Initialement compilés dans d'imposants registres papier, les koseki furent numérisés à partir de 2002.

 

Après les échanges entre le journaliste, posant quelques questions cadres, et Keiichiro Hirano, une question venant de la salle interroge l’écrivain sur les nombreuses expressions très érudites qu’il utilise dans ses romans. Certains critiques, d’ailleurs, le lui ont parfois reproché, jugeant ce type d’écriture exigeantes trop ostentatoire. Il est vrai que les critiques en question maîtrisent rarement leur langue comme Keiichiro Hirano ou Yukio Mishima… Comment Keiichiro Hirano s’y prend-il pour maîtriser aussi bien des formes aussi châtiées et étudiées de la langue japonaise ?

 

L’écrivain répond très simplement à cette question. Bien sûr, l’écriture sur internet est une écriture rapide, spontanée, presque orale et surtout corrompue. Il lui est donc nécessaire de continuer à faire ce qu’il adore faire : lire de la littérature, une littérature travaillée, de haute culture et notamment certains « classiques » de la littérature japonaise ou mondiale. Il évoque ensuite ce qui représente pour lui l’essentiel d’une écriture exigeante : il est nécessaire de rédiger des phrases courtes et précises. Brièveté et précision semblent pour lui les deux mamelles d’une littérature exigeante. Il faut éviter les termes ou expressions vagues qui n’évoquent que des choses ou des émotions superficielles. Quand il s’agit de décrire des sentiments, il est souvent utile de faire des comparaisons. Mais la précision est nécessaire pour décrire de paysages ou des faits.

 

Fait-il des recherches pour mieux connaître les thèmes sur lesquels il écrit ou bien rédige-t-il ses romans spontanément ? Keiichiro Hirano prend exemple sur le thème des discriminations et de la xénophobie, évoqué dans A Man à travers le cas des Zainichi. C’est un thème qu’il a toujours voulu traiter. Il existe une collection de romans sur les Zainichi par les Zainichi. Il en a lu beaucoup. Lui-même n’est bien sûr pas un Zainichi mais il s’est beaucoup inspiré de ces écrits. Il a par ailleurs beaucoup d’amis qui sont des Zainichi et qu’il a connus à l’école. IL en a interrogé une vingtaine dans la préparation de ce roman. Cela lui a permis de décrire les sentiments profonds ressentis par cette « communauté ». Il a donc beaucoup utilisé ses amis pour imaginer leurs réactions dans le contexte du roman. C’était un travail plus sérieux que de se projeter soi-même dans ce contexte en y apportant ses propres sentiments supposés.

 

Une dame présente à la conférence lui demande enfin à quoi il utilise les réseaux sociaux, notamment Twitter et Facebook, dont il est friand. Partage-t-il des informations sur ses livres ou sur des sujets plus larges, sociétaux ou politiques ? Par ailleurs, ayant passé une partie de son enfance dans une institution catholique, a-t-il été influencé par ce système d’éducation ?

 

Keiichiro Hirano répond qu’il a commencé d’utiliser Twitter pour informer de ses activités littéraires et annexes. En effet, les mass médias ne relayent pas toujours très bien les questions littéraires et il lui était nécessaire de faire passer des messages sur ses livres. Mais il utilise aussi Twitter et Facebook pour partager des convictions ou des interrogations sur le monde, notamment dans le domaine politique. Il caractérise Twitter comme une « conversation normale ». S’y côtoient des informations anodines comme des échanges sur des sujets plus importants.

 

Quant à son passage dans une « Catholic Junior High School », il en a surtout retenu, semble-t-il, les cours de morale catholique avec la Bible comme support. Il était très opposé à ce mode de pensée à cette époque. Sans doute ses interrogations éthiques, faites de responsabilité et de liberté, étaient-elles peu adaptées pour la soumission à une morale imposée et verticale. « Je ne comprenais pas les croyances de la Bible, souligne-t-il. Les professeurs pensaient que j’étais difficile à maîtriser. Mes amis étaient régulièrement convoqués chez le directeur parce qu’ils fumaient des cigarettes ou qu’ils ne portaient pas leur uniforme convenablement. Moi, c’était parce que mon attitude en classe en cours de morale catholique n’est pas assez conforme. J’avais un fort intérêt pour la littérature. Beaucoup des auteurs que je lisais parlaient de chrétienté ou de catholicisme. Certains étaient pour, d’autre contre. C’est par là que j’ai fini par m’intéresser à la chrétienté. Si tous ces auteurs écrivaient sur le sujet, c’est que ça devait être intéressant. »

Keiichiro Hirano invité au TokyoAmericanClub TV
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24 novembre 2020 2 24 /11 /novembre /2020 13:56
Le vaccin
Ma pharmacienne est très sympathique. Je la croise hier pendant ma sortie EHPAD réglementaire d'une heure autour du parc voisin. "Bonjour, M. Soleil !" me lance-t-elle. Je la salue à mon tour en faisant un geste de la main. Nous échangeons quelques mots anodins, notamment sur le temps qu'il fait, frileux mais clair, avec un ciel d'un bleu presque transparent. Puis, commerçante de produits essentiels, elle précise : "J'ai commandé 500 vaccins. Je devrais les avoir bientôt." Surpris par une telle rapidité, je lâche un : "Ah bon ? Déjà ?" Elle me sourit. "Oui, dit-elle, c'est que disent les fournisseurs. Sans doute courant décembre. De toute façon, je vous en mets un de côté et je vous appelle dès que j'en ai. Promis !" Nous vivons décidément dans un monde où tout va vite. Qui s'en plaindra ?
A ce rythme, on pourrait vacciner la population contre la grippe saisonnière d'ici l'été... indien !
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24 novembre 2020 2 24 /11 /novembre /2020 02:50

Il y a un jazz animal, un jazz proche de l’archaïsme des débuts, qui traverse et transcende tous les styles ; un jazz qui remonte des racines et que fabrique en nous le lémurien qui nous habite. Un jazz qui vient de l’inconscient, un jazz déchiré, déchirant, douloureux. C’est une musique qui marche plutôt qu’une musique qui coule ; le contraire, en somme, des musiques d’ascenseur qui fleurissent dans le Japon contemporain, ces musiques qui nous apaisent et nous agacent dans les « depato » (department stores), les « risutoran » (restaurants), les centres commerciaux de Tokyo ou d’Osaka et même, certains jours, les ruelles de Tanaka. Certains, éblouissants, doivent troquer leur vie contre leur art pour retrouver ces tréfonds, s’impliquer dans une démarche sacrificielle, s’adonner à tous les excès. Bref, un jazz comme un dernier souffle, dont l’auditeur recueille la flamboyance ultime : une sorte de rayon vert que produit le soleil à la fin du jour. C’est, par exemple, la voix de Chet Baker dans Let’s get lost, la chanson phare du film crépusculaire de Bruce Weber.

 

Mais il est un autre jazz, tout aussi généreux, peut-être plus, tout aussi envoûtant, une autre musique qui marche, une autre musique qui boîte, un jazz qui est pensé, au-delà même de la pensée, un jazz cérébral mais non pas calculé, un jazz raffiné comme les paysages successifs et changeants de la villa Katsura à Kyoto, un jazz dont chaque détail est parfaitement placé comme dans le jardin de pierres du Ryoan-ji à Kyoto, un jazz qui est une perfusion de vie pure dans les âmes intranquilles. C’est le jazz de Takumi Nakayama, le brillant jeune homme de Shizuoka. Ce n’est pas du jazz : c’est un jardin anglais où le désordre des fleurs répond à un ordre secret que l’on perçoit à peine. Comme à Sissinghurst, chez Vita Sackville-West, qui célèbre la plus intense liberté, celle de l’ordre dans le désordre, une anarchie exigeante et maîtrisée à merveille. C’est le jazz qui devait forcément se jouer au pays des merveilles de l’espiègle Alice. C’est le jazz où chaque feuille morte témoigne simplement que la perfection n’existe pas : simple politesse. C’est un jazz délicat et vibrant comme une gravure d’Hokusai, une évidence posée au bord de nos oreilles et qui, réservé, ne pénètre que celles qui s’ouvrent et se donnent. Un jazz qui ne vient pas vers nous si nous ne faisons pas un pas dans sa direction. Hokusai, le vieux fou de dessin, qui espérait atteindre son plein talent à l’âge de 100 ans, semble avoir ressuscité dans ce jeune musicien dont la maturité explose derrière son sourire angélique. Il a poursuivi sa mission et touché le sommet du triangle de la vie. La ligne musicale de Takumi touche à l’épure. Les sons qu’il produit sont une musique céleste qui m’évoque les bruits de la forêt tels qu’ils résonnent dans le temple Daisho-in, sur l’île de Miyajima, en été, quand les murs de papier s’ouvrent sur la lumière du Pacifique en contrebas. Ces lieux sont, comme le jeune musicien, habités par une infinité de divinités qui veillent sur nous.

 

Le jazz de Takumi Nakayama est exempt de tout pathos. C’est un jazz cultivé. Un jazz de torero plutôt que de toro. Un jazz d’anneau Ensô, cette forme circulaire qui exprime l’intégralité ou le vide du moment présent, ce cercle de lumière cher aux bouddhistes. Pas une note de trop, nulle fioriture. Une respiration primale qui ouvre sur la vie. Une joie contenue. On y entre sans y prendre garde, comme dans un bâtiment de Kenzo Tange. La lumière y est blanche comme dans le musée des arts asiatiques de Nice. On n’en sort plus, ou plutôt il ne nous quitte plus, comme une transfusion de sang doré et pétillant qui se glisse dans chaque recoin de notre corps et de notre âme. La musique de Takumi Nakayama. Mille pages les plus inspirées ne rendraient pas grâce à la moindre de ses notes. Comme les danseurs de flamenco, comme les toreros les plus authentiques, Takumi atteint très vote le duende chez à Garcia Lorca, cet été de grâce, ce summum de l’harmonie où l’homme fusionne avec l’animal dans un instant d’éternité où il se connecte à tout l’univers. Takumi fabrique de l’unité là où le monde se disperse. C’est l’amour qui tient le monde droit : la musique de Takumi est amour, et là est son miracle.

 

Mais bien sûr, le jazz est comme le zen. Au fond, le jazz le plus animal et le jazz le plus sophistiqué se rejoignent. Le toro et le torero ne font bientôt plus qu’un et il n’est bientôt plus de musicien, plus d’auditeur, juste la fusion totale de l’univers. En cela, Takumi se comporte en véritable alchimiste. C’est Giordano Bruno dissertant sur l’infinitude de l’univers, la dissolution du temps ; c’est la nature de Bouddha débarrassée de ses pelures d’oignon. Une plongée cristalline dans l’ici et maintenant.

Takumi Nakayama, ici et maintenant
Takumi Nakayama, ici et maintenant
Takumi Nakayama, ici et maintenant
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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 22:04

Harry s'est retiré sur l'île grecque de Skyros, où il coule des jours paisibles à défaut de trouver la tranquillité de l'esprit. Entre mer et soleil, promenades bucoliques et crépuscules flamboyants, il ne cesse de repenser à son amie Mélina, morte renversée par un autobus dans Fleet Street, Londres. Comment l'accident s'est-il passé ? Pourquoi Mélina s'est-elle précipitée sous les roues du véhicule ? Il s'interroge sur les circonstances du drame : finira-t-il par découvrir toute la vérité ?

Christian Soleil publie un nouveau thriller : L'Accident
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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 14:57

L'homme dispersé : un retour à la préhistoire. La liberté ne fait pas le bonheur. C'est bien sûr la libération qui apporte la lumière. Alain affirmait que le bonheur suit le courage. Et le courage demande un effort.

 

Quand la liberté devient sans entraves, offerte sans condition, et qu'elle signifie, faute de surmoi, la satisfaction dans l'œuf de toutes les pulsions, l'absence totale de frustration, c'est-à-dire quand je ne suis plus capable de résister à mon envie immédiate de chocolat pour garder des chocolats pour ce soir, la liberté individuelle n'en est pas une parce qu'il n'y a plus d'individu responsable, assertif, capable de prendre en considération, comme dans le triangle de Ricoeur, l'autre dans toutes ses dimensions, ni la société qui nous entoure.

 

L'individu n'est plus alors qu'une somme de dividus, au sens où l'entend le jeune écrivain japonais Keiichiro Hirano, sans lien, sans volonté, sans véritable continuité. Cette liberté-là n'est bien sûr pas la véritable liberté, la capacité de décider, de vouloir durablement, de construire, d'agir, de "changer la vie". Le citoyen n'est plus qu'un consommateur, jamais satisfait, jamais rassasié, ouvert aux vents de la publicité qui nous déchire, des réseaux sociaux qui nous explosent, des émotions qui se succèdent en nous et que nous prenons pour nous-même.

 

Tout autre qui n'est pas nous devient suspect pour le paranoïde que nous sommes. L'évènement indésiré est le fruit d'un complot. Le monde dans lequel nous vivons devient un monde hostile. Et pas question de tenir nos promesses. A chaque soir suffit son éternité. La loyauté n'est plus de mise. Elle nous obligerait. Le nouvel homme libre n'est obligé de rien. Pas même à son propre égard. Ce n'est pas une capacité à changer d'avis, preuve de santé mentale. C'est une incapacité à se continuer. Demain n'est pas un autre jour. C'est un autre dividu, voire un autre monde. L'incertitude est totale : je ne sais pas qui je serai demain. Je t'aime today. Demain, we'll see.

 

Cette liberté, c'est-à-dire cette aliénation, cette absence même de colonne vertébrale, est souvent prise pour une forme d'épanouissement. C'est elle qui amène les contrats à réduire leur temporalité. On s'engage pour moins longtemps. Au mariage à vie, le CDD du Pacs, dont le succès ne se dément pas. A l'emploi à vie, cher notamment aux Japonais jusqu'à la crise de 1995 qui le voit peu à peu s'effriter, le CDD, le travail temporaire, le stage même après le diplôme, quand ce n'est pas le retour du tâcheron sous la forme de l'autoentrepreneuriat. On n'achète plus ses vêtements : on les loue. La prostitution, sous des formes discrètes et dématérialisées, les bars à garçons de Tokyo pour femmes mûres esseulées, jusqu'aux alliances politiques éphémères, en passant par les consommateurs tellement infidèles qu'ils en deviennent inclassables pour les entomologistes du marketing : on ne sait plus où donner de la tête.

 

Comme un virus, l'homme mute sans fin. Et pour une fois, il y a égalité des sexes : la femme ne suit plus son mari, contrairement au code Napoléon. L'autre n'est plus l'autre : au mieux, l'objet de mon désir provisoire, un bonheur de cinq minutes, le temps de la consommation, un jouet de Noël tôt voué à moisir au pied de l'arbre.

 

C'est dans ce vide existentiel que l'individu tente malgré lui de se réunir, de rassembler ses dividus, de réunir ses forces dispersées dans une dernière guerre atomique de l'âme. Il ne peut le faire seul. Il n'a pas grandi. Il se cherche dans des selfies sans fin, dans lesquels il ne se reconnait pas. Il se prend en photo devant des trains lancés à vive allure qui le réduisent en miettes (première cause de mort par selfie en France) ou dans les sports extrêmes, tant il cherche l'intensité de vivre dans l'imminence de la mort, à la manière des soldats américains revenus du Vietnam.

 

Il tend alors une main d'ombre, à la manière des morts-vivants le jour d'Halloween, saisit ce qu'il peut, ce qui lui donnera le sentiment de l'unité. Mais comme il manque de confiance en lui, en l'autre ou dans un Dieu adulte capable de l'aider à se construire, il se contente de croire sans rassembler suffisamment de preuves : c'est l'ère des fakes, des gourous, des leurres qui montent, des radicalités insensées. Là où le radical entrait dans le Parti pour faire la Guerre d'Espagne, le "radicalisé" (changement de vocabulaire, on n'est jamais responsable de rien, dépourvu d'existence propre) part faire le djihad, parfois sans connaître les textes auxquels il croit souscrire. Il est vrai que la radicalité ne dispose pas de figures crédibles : qui peut croire dans la radicalité théâtrale d'un ancien sénateur "socialiste" enrichi par ses mandats sans fin ?

 

Même la pensée ne saurait durer : foin du débat contradictoire, de l'argumentation, de la pensée philosophique. Foin même des faits vérifiés : tout devient opinion. Tout discours se vaut. On a donc le droit de tout dire. Après tout, comme disait Maria Casarès dans le rôle de la Princesse de la Mort dans l'Orphée de Cocteau : "Vous avez tous les droits, mon brave Monsieur. Et je les ai tous." La seule condition : que le discours soit bref : slogan, invective, opinion à l'emporte-pièce, insulte plus ou moins directe, proverbe, principe normatif. Il faut bien quelques mots pour remplacer le père. Le philosophe des plateaux donne son avis sur tout, tour à tour expert en virus, chef des armées, représentant des lycéens, hydre à deux têtes, aigle à deux têtes ou déesse Shiva. Il ne se tait jamais, ce qui lui interdit de penser. Il ne dit que de la merde. L'étudiant qui pose une question n'attend pas la réponse : je est un autre instantanément. Le café qui passait dans un filtre est devenu capsule : le temps que je le fasse, en voudrais-je encore ?

 

Le raccourcissement de la pensée, des stratégies d'entreprises devenues tactiques du jour, des programmes politiques déjà obsolètes le jour de l'élection, l'état de crise permanente, qui ne vient pas des circonstances extérieures mais de l'absence de vision, donc de prévision, exagèrent notre propension humaine à rechercher la cause unique des évènements qui surviennent. Bien sûr, il n'y a pas de cause unique. Le rapport de cause à effet, comme le disait Ludwig Wittgenstein, est une pensée magique. Cela n'existe pas. Mais la pensée complexe, qui seule peut nous aider à comprendre le monde, ne s'est pas diffusée depuis l'arrivée d'Edgar Morin sur la planète bleue.

 

La pensée unique prévaut dans nombre de nos activités, et pas des plus anodines. Elle prévaut dans les religions monothéistes, où un dieu (la langue ainsi employée est déjà un blasphème, mais il faut bien reconnaître qu'il en est des floppées, de divinités), le seul, l'unique, a créé le monde un beau jour, ou peut-être une nuit (près d'un lac ?). A dieu le bien ; au diable le mal. Les sciences physiques, avec tout ce qu'on leur doit de géniales trouvailles, fonctionnent aussi sur la recherche de la cause unique. Elles finiront par arriver à Dieu, puisqu'on arrive toujours à ce qu'on croit, d'où l'on est parti, comme le voleur dans la maison vide. Après tout l'atome insécable n'est-il pas à l'origine de tout, même si, finalement, il n'est que musique ?

L'homme dispersé
L'homme dispersé
L'homme dispersé
L'homme dispersé
L'homme dispersé
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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 14:56

La loi du 14 novembre 2020 prévoit de prolonger le régime transitoire de l'état d'urgence jusqu'au 1er avril 2021. Symboliquement, bien sûr, le 1er avril me parait une date un peu douteuse. Mais ne versons pas dans le complotisme. Si l'on regarde les dernières années, on vient de passer, sur cinq ans, deux ans et demi en état d'urgence pour, bien sûr, toujours de bonnes raisons, c'est-à-dire des situations exceptionnelles : attentats survenus sur le sol de France qui n'en avait jamais connus puisque le pays n'a bien sûr pas d'histoire (oui, c'est ironique) ; crise sanitaire pour un virus venu de Chine, qui n'est pas le premier du genre non plus. L'état d'urgence est bien prévu par la loi et l'on pourrait le qualifier de "parenthèse démocratique" : il est provisoire, lié à une situation exceptionnelle. De durée limitée, il peut se comprendre. Mais quand il s'étire, c'est un peu comme la guimauve. Ne risque-t-il pas de craquer ? Va-t-on le supprimer pour l'intégrer dans la loi "courante" comme il fut fait au début des années Macron avec les dispositions de l'état d'urgence du père François ? Ou simplement le prolonger jusqu'à la fin du virus, c'est-à-dire sans doute l'élection présidentielle ? Là, j'entends les optimistes déjà dire que le vaccin est bientôt là. Mais attention, celui que nous attendons, ce n'est pas le Messie, c'est toujours le vaccin de la grippe. Ne jamais confondre désir et réalité, discours médiatique et vie réelle.

Etat d'urgence : jusqu'à quand ?
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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 08:51
Défiance, esprit critique et névrose
On n'en finit pas d'analyser les causes et les enjeux de la défiance des Français (surtout des Français, mais pas seulement) envers tout ce qui peut incarner une autorité morale, intellectuelle, démocratique, étatique, médiatique, philosophique, scientifique, et j'en oublie sûrement. Puisqu'on ne peut pas être sûr, mieux vaut rejeter.
La transparence qui galope à travers l'infini des médias sociaux nous laisse voir les doutes et les hésitations de ceux qui sont censés savoir, comprendre, décider pour nous, diriger. Dès lors, les esprits "libres", c'est-à-dire sans contraintes, mais aussi sans surmoi et parfois dépourvus de tout sens critique, plutôt de d'accorder leur confiance à des systèmes qui ont fait leurs preuves (certes partiellement, imparfaitement, avec parfois quelques dérives), et qu'il serait judicieux d'améliorer, préfèrent tout rejeter en bloc.
L'esprit libre qui ne cède devant aucun pouvoir, l'esprit qui renie tout DIeu et tout maître, c'est fondamentalement l'esprit anarchiste. Mais l'esprit anarchiste exige une capacité d'analyse et, justement, un sens critique comme un surmoi correctement développés. L'anarchiste est son seul maître. Il doit avoir la capacité de son autonomie.
Or, la défiance généralisée ne correspond le plus souvent pas à une prise de recul salutaire, non plus qu'à une réelle autonomisation. Elle est une attitude puérile qui refuse les bras de la sagesse relative pour se jeter dans ceux des fabricants de fake news ou de conspirations imaginaires, parce que l'humain cherche des certitudes, qu'il cherche des certitudes et qu'il est toujours plus aisé de suivre la pensée prémâchée, par exemple une certaine "opinion publique", plutôt que de faire l'effort de penser. Le besoin de certitude est peut-être la plus grande faiblesse de l'homme.
Tout cela tient de la névrose : il est loin, le temps des certitudes, quand père et mère donnaient le là et que le monde de notre enfance était peuplé de gourous bienveillants. Le monde n'a changé que dans notre perception. Il est si difficile d'accepter le réel.
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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 05:27

 

Depuis quelques années, Takumi Nakayama marque la scène jazz japonaise. Ce saxophoniste alto japonais est l’un des musiciens les plus en vue du moment, d’une maturité artistique exceptionnelle malgré son encore jeune âge. Il est né à Shizuoka en 1992, une grande et belle ville aérée au bord du Pacifique, à une grosse heure au sud-ouest de Tokyo.
De formation classique, Takumi Nakayama a commencé le piano à l'âge de cinq ans, puis il a appris le saxophone et le jazz à l'âge de 12 ans. Il est diplômé du réputé Kunitachi College of Music d’où il est sorti major de sa promotion. C’est dire qu’en plus d’être un musicien éprouvé, il a aussi une tête bien faite. Il a étudié le saxophone avec Yoshiyuki Nakayama, Atsushi Ikeda et quelques autres, parmi les meilleurs musiciens des générations qui l’ont précéd. À ce jour, il s'est produit avec Toshiko Akiyoshi et Yosuke Yamashita, entre autres musiciens. En tant que saxophone alto principal de l'Orchestre de la High Society de l'Université Waseda, il a reçu le premier prix du Yamano Big Band Jazz Contest pendant deux années consécutives et le prix du meilleur soliste. Il est maintenant un interprète actif principalement dans son propre quatuor, ainsi qu'un excellent compositeur / arrangeur, constamment à la recherche d'une musique qui puisse toucher profondément le cœur des auditeurs.
Takumi travaille depuis 2016 avec un « band » qu’il a formé pour en 2016 pour le « Festival international de jazz de Bakou »Le tour de Takumi avec des amis asiatiques ». Ce groupe se compose de quatre jeunes musiciens japonais. Le principal d’entre eux, Takumi Nakayama, en est le leader. Ce saxophoniste qui porte avec lui de grandes promesses et que les amateurs de jazz nippons suivent avec une attention sans cesse renouvelée. Chacune de ses apparitions est fortement remarquée et sa capacité de performance lui vaut de nombreux suiveurs sur les réseaux sociaux. Il figure sans conteste parmi les musiciens les plus doués de la scène jazz actuelle du Japon.
Ses compères sont des musiciens jeunes et énergiques qui développent des activités de performance agressives : Yusei Takahashi, Takumi Katsuya et Akira Yamada. De plus, il travaille avec deux jeunes musiciens talentueux à la musicalité flexible venus d'Asie du Sud-Est, Geraldo Bhaskara Putra Sibbald (Indonésie) et Jacques Rivas Dufourt (Philippines).
Tous les six produisent sous la houlette de Takumi un «Asian Jazz» de la forme progressive actuelle dans une sensibilité juvénile et une énergie enthousiaste qu’ils communiquent sans peine à leur public. Leurs influences sont à l’évidence multiples. Certains sonorités du saxo de Takumi ne sont pas sans évoquer les langueurs lascives de la trompette d Chet Baker, mais un Chet Baker japonais qui, s’il connait la mélancolie, la voile d’une immense pudeur et sais provoquer une joie communicative à ses auditeurs ravis.
Yakumi Nakayama, l'autre nom du jazz à Tokyo
Yakumi Nakayama, l'autre nom du jazz à Tokyo
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16 novembre 2020 1 16 /11 /novembre /2020 15:10

Le narrateur vient retrouver un ami espagnol qui s'est installé et travaille à Washington D.C. Toute la journée, il se retrouve seul dans l'appartement de Dorchester House, dans l'immeuble où habitait jadis JFK étudiant. Il passe ses journées à visiter la ville, les musées de la Smithsonian Institution et ses soirées à sortir avec son ami Rafael dans les établissements nocturnes. Au jour le jour, il prend des notes sur la réalité de la société américaine contemporaine, ses bonheurs et ses failles, dans une des villes les plus favorisées d'Amérique.

Kalorama Road : Christian Soleil présente Washington de l'intérieur
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14 novembre 2020 6 14 /11 /novembre /2020 14:42

Keichiro, le messager de Yomi. Il y a bien une réalité derrière le monde qui nous apparait comme réel. Rien n’est ce qu’il semble être. Nous nageons en plein mystère. C’est un peu comme si Keiichiro Hirano nous racontait des histoires engluées dans la soupe de l’univers. Le lire, c’est entendre la musique des quarks, ces particules élémentaires qui constituent la matière observable. Les quarks s'associent entre eux pour former des hadrons, particules composites, dont les protons et les neutrons sont des exemples connus, parmi d'autres. Avec Keiichiro, peut-être sans qu’il le sache, on touche à cet essentiel, au cœur du monde, mais cet essentiel est déjà un au-delà par rapport à la réalité du quotidien. Nous n’avons pas accès au réel : seulement à nos représentations, fondées sur des perceptions faussées. Le monde tient seulement par l’amour, et de l’amour, il y en a à foison dans les romans de Keiichiro. De l’amour froid, de l’amour décortiqué, de l’amour profond, non-dit, suggéré. L’amour, au Japon, c’est comme un courant d’air. On ne dit pas « je t’aime » quand on aime, au Japon, on constate : « Il y a de l’amour. » Suki desu. Fermer un livre de Keiichiro Hirano, c’et fermer la fenêtre pour interrompre le courant d’air.

 

D’où vient tout cet amour ? Reçu. Jamais assez. Toujours en quête. L’amour, qui le préoccupe, Keiichiro, dont il parle dans des conférences, amour de soi, amour des autres, amour sans objet déterminé, à la manière du moine zen Thich Nhat Hanh : amour ouvert, élargi, qui se dilue dans le monde au point de quitter l’objet originel et de gagner du terrain de manière virale. Qu’on ne s’attende pas à ce qu’il parle ouvertement d’amour. Keiichiro Hirano est un auteur pudique. Les sentiments sont analysés, ils affleurent derrière les actes, on hésiterait plutôt à le caractériser comme un « auteur sentimental ». Mais c’est l’amour qui tient ses personnages comme ses livres, parce que c’est l’amour qui tient le monde. Et finalement, à le lire attentivement, c’est souvent de l’amour puissant, de l’amour donné, offert, généreux, mais de l’amour retiré, un vide immense après le plein, peut-être le trop-plein. Keiichiro Hirano, pour prendre une image volcanique, est comme une caldeira : ces marmites remplies de magma qui, après une éruption cataclysmique, vidées de leur substance, s’effondrent sur elles-mêmes. Keiichiro est la caldeira. Violence absolue. Il aurait pu devenir terroriste, assassin, hors-la-loi. Comme Hervé Guibert qui écrivait : « J’écris pour ne pas être un assassin. » Alors Keiichiro s’est fait archéologue. Il cherche, à travers l’écriture, les traces de la civilisation perdue. Il est à la fois Santorin et la catastrophe qui fit la beauté fatale de son paysage, et, quand il prend la plume, l’archéologue qui fouille la mer en espérant dévoiler l’Atlantide.

 

Avec Compléter les blancs, Keiichiro Hirano frappait fort (chez Actes Sud, dans une traduction de Corinne Atlan). Les « blancs » qu’il évoque correspondent aux premiers souvenirs… et aux derniers. Voilà qu’au Japon, comme ailleurs, tranquillement, sans crier gare, les défunts reviennent à la vie. On n’a pas l’explication du phénomène, « similaire à une erreur dans un programme informatique » : « Les Ressuscités [sont] le résultat d’une sorte de bug ». Tetsuo Tsuchiya fait partie de ces miraculés très prosaïques, mais son cas est particulier : il s’est suicidé en se lançant dans le vide depuis le toit de l’usine qui l’employait. En tout cas, c’est ce qu’on lui dit. Car lui-même est persuadé d’avoir été assassiné, et il essaye de comprendre par qui, en complétant les fameux « blancs ».

 

L’intrigue épouse le récit de sa quête, dans une société où, c’est connu, la pression sur le salarié au sein de l’entreprise est forte, l’expression des émotions personnelles problématique et le rapport au suicide historique et complexe. Un roman-de-société, donc ? Ou un policier, un thriller psychologique, un conte fantastique, une fable ? Qu’est-ce, en définitive, que ce curieux et assez fascinant gros-livre, qui renouvelle avec aplomb le thème, lui aussi traditionnel dans la culture nippone, du fantôme ? Ce qui fait qu’on s’y attache, ce n’est pas le cheminement un peu alambiqué de l’enquête ni les conversations philosophiques dignes d’un Dostoïevski New Age. Le charme ou, si l’on préfère, le malaise, est dans les détails, dont l’accumulation crée petit à petit une atmosphère d’inquiétante étrangeté assez prégnante. Un chewing-gum est resté collé à une semelle ; la bave d’un chien malade dégage une odeur fétide ; « la lumière du soleil (…) sembl[e] s’être tapie au pied de la fenêtre comme un animal apprivoisé ». On ne sait pas pourquoi ces grossissements et autres arrêts sur image, mais leur caractère énigmatique finit par suggérer que la réalité, à l’image de ce lac parcouru par un cygne, pourrait à chaque instant s’ouvrir « comme une gigantesque fermeture Éclair ».

 

Derrière la réalité apparente, la vérité est trop nue. Elle n’excite pas les hommes. C’est elle qu’il interroge dans ses écrits. S’il semble sauter du coq à l’âne, c’est que la profondeur, inaccessible, qu’il recherche, passe paradoxalement par une forme de dispersion : il la recherche partout, sans relâche, sans trêve, sans repos. Keiichiro Hirano, c’est une intranquille, un Fernando Pessoa qui, par politesse japonaise, donnerait l’illusion d’être bien dans son époque, d’être bien sur cette terre. Mais il n’y est pas mieux que Klaus Mann, qui lui aussi savait donner le change, qui lui aussi s’engageait pour changer le monde, tout en sachant qu’il n’était qu’illusion. « Rien ne vaut rien. Il faut le savoir, mais faire, pour vivre, comme si tout valait tout. » Dixit Cocteau.

 

Keiichiro Hirano est un messager. Mi-Mercure, mi-Eurydice. Il fréquente l’au-delà. Il nous en ramène des pensées, des images, des bribes d’espoir. Y aurait-il quelque chose ou bien rien ? Le sait-il lui-même ? Il est l’instrument des forces qui l’animent, qui lui ordonnent. Il obéit. IL a sans doute fait le voyage de Yomi, la terre de la mort, comme Izanami qui y vécut jusqu’à ce qu’Izanagi en deuil vienne l’y rechercher, comme Orphée Eurydice. Mais Izanami avait déjà mangé la nourriture de Yomi et appartenait à la mort. Elle ne pouvait plus revenir. Le corps d’Izanami, éclairé par le peigne utilisé comme une torche, n'était plus que chair avariée où couraient des asticots et autres créatures répugnantes. C’est peut-être de Yomi que Keiichiro Hirano a ramené la lumineuse tendresse dont son regard est rempli. Ses livres sont des cadeaux qu’il se plait à nous offrir. Des dons, comme on aime en faire dans son pays. IL faut absolument les considérer comme tels. Jamais comme des passe-temps. Un livre de Keiichiro Hirano n’est jamais en concurrence avec une série télévisée, une partie d’échecs ou de go. C’est une porte ouverte sur une vérité qui garde son mystère. Une alchimie digne de Zénon. Dans un précédent article, je considérais l’œuvre de Keiichiro Hirano comme une œuvre au noir. Je signe et je persiste. La vie est courte. Etat d’urgence. A peine le temps de respirer. Les derniers mots de Mishima nous guident : « La vie est courte, et je veux vivre éternellement. »

Keichiro, le messager de Yomi. Il y a bien une réalité derrière le monde qui nous apparait comme réel. Rien n’est ce qu’il semble être. Nous nageons en plein mystère. C’est un peu comme si Keiichiro Hirano nous racontait des histoires engluées dans la soupe de l’univers. Le lire, c’est entendre la musique des quarks, ces particules élémentaires qui constituent la matière observable. Les quarks s'associent entre eux pour former des hadrons, particules composites, dont les protons et les neutrons sont des exemples connus, parmi d'autres. Avec Keiichiro, peut-être sans qu’il le sache, on touche à cet essentiel, au cœur du monde, mais cet essentiel est déjà un au-delà par rapport à la réalité du quotidien. Nous n’avons pas accès au réel : seulement à nos représentations, fondées sur des perceptions faussées. Le monde tient seulement par l’amour, et de l’amour, il y en a à foison dans les romans de Keiichiro. De l’amour froid, de l’amour décortiqué, de l’amour profond, non-dit, suggéré. L’amour, au Japon, c’est comme un courant d’air. On ne dit pas « je t’aime » quand on aime, au Japon, on constate : « Il y a de l’amour. » Suki desu. Fermer un livre de Keiichiro Hirano, c’et fermer la fenêtre pour interrompre le courant d’air.

 

D’où vient tout cet amour ? Reçu. Jamais assez. Toujours en quête. L’amour, qui le préoccupe, Keiichiro, dont il parle dans des conférences, amour de soi, amour des autres, amour sans objet déterminé, à la manière du moine zen Thich Nhat Hanh : amour ouvert, élargi, qui se dilue dans le monde au point de quitter l’objet originel et de gagner du terrain de manière virale. Qu’on ne s’attende pas à ce qu’il parle ouvertement d’amour. Keiichiro Hirano est un auteur pudique. Les sentiments sont analysés, ils affleurent derrière les actes, on hésiterait plutôt à le caractériser comme un « auteur sentimental ». Mais c’est l’amour qui tient ses personnages comme ses livres, parce que c’est l’amour qui tient le monde. Et finalement, à le lire attentivement, c’est souvent de l’amour puissant, de l’amour donné, offert, généreux, mais de l’amour retiré, un vide immense après le plein, peut-être le trop-plein. Keiichiro Hirano, pour prendre une image volcanique, est comme une caldeira : ces marmites remplies de magma qui, après une éruption cataclysmique, vidées de leur substance, s’effondrent sur elles-mêmes. Keiichiro est la caldeira. Violence absolue. Il aurait pu devenir terroriste, assassin, hors-la-loi. Comme Hervé Guibert qui écrivait : « J’écris pour ne pas être un assassin. » Alors Keiichiro s’est fait archéologue. Il cherche, à travers l’écriture, les traces de la civilisation perdue. Il est à la fois Santorin et la catastrophe qui fit la beauté fatale de son paysage, et, quand il prend la plume, l’archéologue qui fouille la mer en espérant dévoiler l’Atlantide.

 

Avec Compléter les blancs, Keiichiro Hirano frappait fort (chez Actes Sud, dans une traduction de Corinne Atlan). Les « blancs » qu’il évoque correspondent aux premiers souvenirs… et aux derniers. Voilà qu’au Japon, comme ailleurs, tranquillement, sans crier gare, les défunts reviennent à la vie. On n’a pas l’explication du phénomène, « similaire à une erreur dans un programme informatique » : « Les Ressuscités [sont] le résultat d’une sorte de bug ». Tetsuo Tsuchiya fait partie de ces miraculés très prosaïques, mais son cas est particulier : il s’est suicidé en se lançant dans le vide depuis le toit de l’usine qui l’employait. En tout cas, c’est ce qu’on lui dit. Car lui-même est persuadé d’avoir été assassiné, et il essaye de comprendre par qui, en complétant les fameux « blancs ».

 

L’intrigue épouse le récit de sa quête, dans une société où, c’est connu, la pression sur le salarié au sein de l’entreprise est forte, l’expression des émotions personnelles problématique et le rapport au suicide historique et complexe. Un roman-de-société, donc ? Ou un policier, un thriller psychologique, un conte fantastique, une fable ? Qu’est-ce, en définitive, que ce curieux et assez fascinant gros-livre, qui renouvelle avec aplomb le thème, lui aussi traditionnel dans la culture nippone, du fantôme ? Ce qui fait qu’on s’y attache, ce n’est pas le cheminement un peu alambiqué de l’enquête ni les conversations philosophiques dignes d’un Dostoïevski New Age. Le charme ou, si l’on préfère, le malaise, est dans les détails, dont l’accumulation crée petit à petit une atmosphère d’inquiétante étrangeté assez prégnante. Un chewing-gum est resté collé à une semelle ; la bave d’un chien malade dégage une odeur fétide ; « la lumière du soleil (…) sembl[e] s’être tapie au pied de la fenêtre comme un animal apprivoisé ». On ne sait pas pourquoi ces grossissements et autres arrêts sur image, mais leur caractère énigmatique finit par suggérer que la réalité, à l’image de ce lac parcouru par un cygne, pourrait à chaque instant s’ouvrir « comme une gigantesque fermeture Éclair ».

 

Derrière la réalité apparente, la vérité est trop nue. Elle n’excite pas les hommes. C’est elle qu’il interroge dans ses écrits. S’il semble sauter du coq à l’âne, c’est que la profondeur, inaccessible, qu’il recherche, passe paradoxalement par une forme de dispersion : il la recherche partout, sans relâche, sans trêve, sans repos. Keiichiro Hirano, c’est une intranquille, un Fernando Pessoa qui, par politesse japonaise, donnerait l’illusion d’être bien dans son époque, d’être bien sur cette terre. Mais il n’y est pas mieux que Klaus Mann, qui lui aussi savait donner le change, qui lui aussi s’engageait pour changer le monde, tout en sachant qu’il n’était qu’illusion. « Rien ne vaut rien. Il faut le savoir, mais faire, pour vivre, comme si tout valait tout. » Dixit Cocteau.

 

Keiichiro Hirano est un messager. Mi-Mercure, mi-Eurydice. Il fréquente l’au-delà. Il nous en ramène des pensées, des images, des bribes d’espoir. Y aurait-il quelque chose ou bien rien ? Le sait-il lui-même ? Il est l’instrument des forces qui l’animent, qui lui ordonnent. Il obéit. IL a sans doute fait le voyage de Yomi, la terre de la mort, comme Izanami qui y vécut jusqu’à ce qu’Izanagi en deuil vienne l’y rechercher, comme Orphée Eurydice. Mais Izanami avait déjà mangé la nourriture de Yomi et appartenait à la mort. Elle ne pouvait plus revenir. Le corps d’Izanami, éclairé par le peigne utilisé comme une torche, n'était plus que chair avariée où couraient des asticots et autres créatures répugnantes. C’est peut-être de Yomi que Keiichiro Hirano a ramené la lumineuse tendresse dont son regard est rempli. Ses livres sont des cadeaux qu’il se plait à nous offrir. Des dons, comme on aime en faire dans son pays. IL faut absolument les considérer comme tels. Jamais comme des passe-temps. Un livre de Keiichiro Hirano n’est jamais en concurrence avec une série télévisée, une partie d’échecs ou de go. C’est une porte ouverte sur une vérité qui garde son mystère. Une alchimie digne de Zénon. Dans un précédent article, je considérais l’œuvre de Keiichiro Hirano comme une œuvre au noir. Je signe et je persiste. La vie est courte. Etat d’urgence. A peine le temps de respirer. Les derniers mots de Mishima nous guident : « La vie est courte, et je veux vivre éternellement. »

Keiichiro Hirano, le messager de Yomi
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