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14 juillet 2020 2 14 /07 /juillet /2020 16:08

Le luxe à la scandinave ? Pas facile à définir, mais après tout, le luxe ne l’a jamais été, ni là, ni ailleurs. Signe de civilisation, dépassement du règne animal, affirmation culturelle, le luxe est d’abord le signe du superflu. Comme le disait Voltaire : « Le luxe, une nécessité. » Du côté du petit Larousse : « Caractère de ce qui est coûteux, raffiné, somptueux. » Longtemps réservé à l’aristocratie, aux papes, aux rois, aux cours et à leur entourage, il s’est peu à peu démocratisé, passant d’un luxe de l’objet au XIXe siècle, à un luxe des créateurs à partir des années 1920 pour aboutir à un luxe de la médiatisation à partir des années 1980. Le jeu du marketing des grandes marques a fini par brouiller les cartes en rendant obsolète la distinction de Jean Castarède entre luxe inaccessible, intermédiaire et accessible.

 

Les rapports étroits entre luxe et rareté, puis luxe et qualité, luxe et mode (quand la tradition fait en partie place à l’innovation, réelle ou feinte), luxe et art (l’artiste et l’artisan ne sont pas toujours très éloignés et le luxe, dans sa version « inaccessible », frise depuis toujours l’art, dans la peinture, l’architecture, le design, jusqu’au concept récent d’artketing) rendent aussi de plus en plus floues les frontières entre ces domaines voisins.

 

Se pencher sur les codes du luxe dans une culture donnée, c’est donc en partie tenter de définir l’identité de cette culture. Dans une période de démondialisation relative, où remontent certaines valeurs « relocalisées », en même temps  que se font sentir des relents nationalistes, crispations identitaires liées à la peur du « sans-limite » et au retour des frontières comme planches de salut, réfléchir aux tendances du luxe, c’est souvent revenir à des concepts et des notions traditionnels ou modernes qui fondent la réalité d’un pays ou d’une zone du globe.

 

En ce qui concerne le luxe scandinave ; il faut au moins remonter à l’art viking tel que nous le présentent les musées de Stockholm ou d’Oslo. Un art avant tout culturel et religieux, mais surtout purement ornemental. On décore tous les matériaux possibles et imaginables. Dans la culture de l’époque : ivoire de morse, pierre, métaux précieux, bois, accessoirement céramique mais cette dernière reste alors d’une esthétique assez pauvre.

 

L'art viking se caractérise par un mélange d'éléments ornementaux appartenant au répertoire de la tradition scandinave et de motifs provenant de répertoires étrangers. Les emprunts artistiques proviennent surtout des décors anglo-saxons et de l'art ornemental carolingien et ottonien, transmis grâce à de nombreux contacts favorisés, entre autres, par le commerce et les missionnaires de domaines culturels limitrophes. Cependant, l'art décoratif oriental n'a été que très peu copié en Scandinavie et l'art russe, byzantin ou slave, n'a pas eu d'échos particuliers sur l'évolution de l'art scandinave à l'âge viking.

 

Le répertoire de formes des styles vikings se compose de différentes sortes de motifs :

 

- Les motifs zoomorphes (essentiellement quadrupèdes, oiseaux et serpents), survivances de représentations animales autochtones antérieures, sont prédominants et fondamentaux.

 

- Les motifs géométriques (entrelacs, spirales) ont une fonction décorative accessoire, et sont cantonnés aux pourtours des représentations figurées ou sont un élément de remplissage à l'intérieur d'une composition.

 

- Les motif végétaux (vrilles, feuilles et palmettes), empruntés au répertoire anglo-saxon (la vigne) et au répertoire carolingien et ottonien (feuilles d'acanthe), ont également une fonction décorative accessoire.

 

Les représentations anthropomorphes sont isolées et n'ont pas de signification stylistique déterminante.

 

L’art viking continue aujourd’hui de diffuser ses motifs dans la culture scandinave et notamment dans les produits haut-de-gamme et de luxe, tant dans la mode que dans le mobilier par exemple. Les valeurs qui le caractérisent : sobriété, proximité avec la nature, transcendance, esprit de conquête (commerce, combats), conservent toute leur actualité. S’y ajoutent la qualité des matériaux bruts, la simplicité, l’utilité fonctionnelle. Le design scandinave conserve ce sens de l’ergonomie, du beau fondé sur l’utile.

 

L’art scandinave se développe en Scandinavie entre le début du VIIIe siècle et le milieu du XIIe siècle. Cette période correspond à la grande expansion outre-mer des peuples des rivages de la mer du Nord, les Vikings. On trouve des vestiges de leur activité en Norvège, en Suède, au Danemark, en Finlande, dans le nord de la France et surtout dans les îles Britanniques.

 

Cependant notre connaissance de l'art viking est très lacunaire : en effet, les œuvres précédant le XIe siècle ne nous sont parvenues qu'à travers de rares documents archéologiques. La sculpture sur bois exécutée avant le XIIe siècle n'a presque pas survécu, excepté dans les tombes royales du Vestfold en Norvège. Les tentures, les étoffes et l'architecture préchrétienne ont aussi presque entièrement disparu. L'observation de l'existence de différents styles repose donc surtout sur l'orfèvrerie, les pierres runiques (blocs de calcaire gravés) et les stèles trouvées dans les lieux de sépulture. L'orfèvrerie, souvent en argent, parfois en or, comporte des médaillons, pendentifs, épingles et boucles aux motifs d'entrelacs complexes, ainsi que des colliers tressés de fils d'argent, techniquement très aboutis.

 

L'art viking trouve son origine dans les ouvrages d'orfèvrerie du centre de la Suède, datant des VIIe et VIIIe siècles. On rencontre déjà les motifs animaux caractéristiques mais aussi des scènes mythologiques qui disparaîtront par la suite. À la fin du VIIIe siècle, apparaissent, sculptés sur des stèles, les premiers reliefs décrivant des scènes de la vie domestique, maritime et guerrière. Au IXe siècle, l'art viking semble atteindre une maturité dont témoigne la tombe d'Oseberg, près d'Oslo. Les chefs étaient souvent ensevelis dans un bateau viking de bois avec un matériel varié (épées, haches, traîneaux, chariots, lits, etc.) somptueusement décoré. À Oseberg, le vaisseau de la reine Åsa, d'une élégance extrême, équipé avec un luxe inouï et orné des habituelles sculptures animales aux formes sinueuses et entrelacées (chevaux, serpents, cygnes, dragons, etc.) révèle l'existence d'un art princier très original et d'une très haute tenue.

 

Les liaisons maritimes entre les deux rives de la mer du Nord provoquèrent à la fin du IXe siècle la naissance des styles anglo-scandinaves, au nombre de cinq. Le premier, style de Borre, définit les productions de la Norvège méridionale entre 840 et 980, caractérisées par des reliefs animaux et des décors de rubans. Le style de Jelling (870-1000) du nom du site funéraire royal dans le Jutland montre des animaux enrubannés qu'on retrouve sur les croix du Yorkshire dans les îles Britanniques. Le monument le plus étonnant de ce style est un bloc de granit pyramidal dont la première face porte des runes qui commémorent le roi Harald Blåtand et le baptême des Danois. La deuxième face comporte un monstre au milieu de volutes et de rubans et la troisième une crucifixion. Le style de Mammen (Jutland 960-1020) prolonge le précédent en faisant un emploi plus systématique des végétaux. Le style de Ringerike (980-1080) et celui des Urnes (1050-1150) dérivent du style de Mammen avec, pour le premier, des motifs de serpents et, pour le second, des animaux élancés surtout présents sur les portails d'églises de bois norvégiennes.

 

Il ne reste à peu près rien de l'architecture de bois de cette période. On sait seulement qu'entre 980 et 1030 environ, des ensembles utilitaires d'une grande régularité et d'une grande ampleur furent édifiés au Danemark, notamment à Fyrkat et Aggersborg dans le Jutland. L'architecture funéraire se résume à des tumuli de terre et des alignements de pierres dressées. La conversion au christianisme au xie siècle a apporté un renouveau. Il ne reste cependant que quelques églises de bois en Norvège, aux charpentes de poteaux verticaux et à la silhouette très élancée. Les portails et les façades sont ornés de décors d'entrelacs ou de scènes figurées d'un grand raffinement. L’art viking est bien sûr fondé sur l’artisanat. L’artiste n’existe guère : c’est l’objet qui est au centre, le matériau et la forme que lui donne le labeur humain. Vers le milieu du XIIe siècle, l'originalité artistique scandinave est étouffée par le triomphe de l'art roman.

 

Au-delà de ces racines anciennes, le deuxième axe fort d’influence du style scandinave dans le luxe local est ce qu’on a appelé le design scandinave. Plusieurs facteurs clefs ont façonné le design scandinave, parmi lesquels un bon nombre sont liés aux conditions environnementales. Les pays nordiques sont célèbres pour leurs longs mois dominés par l’obscurité, le froid et la neige, avec des belles saisons brèves, intenses et très lumineuses. De vastes zones sont montagneuses et couvertes de forêts. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le design scandinave soit très inspiré par la nature, au travers des formes, des matériaux ou des motifs ornementaux.

 

Pour survivre dans ces conditions inhospitalières, les Nordiques ont depuis toujours intégré l’idée qu’il fallait apprendre à tirer le maximum des ressources limitées. L’inutile et le gaspillage n’y ont pas leur place. Cette économie de moyen conditionne les objets du quotidien scandinave depuis bien avant l’apparition du fameux crédo du design moderniste – la forme doit obéir à la fonction.

 

Comme l’industrialisation est arrivée tardivement dans la région, l’artisanat traditionnel était resté vivant quand le design a pris son essor. Issu de cet artisanat, les précurseurs du design scandinave n’ont jamais laissé la machine prendre le pas sur le savoir-faire manuel et c’est au contact direct des matériaux qu’ils ont nourri leur imagination d’artiste.

 

Du fait des longs mois d’hiver, les maisons se doivent d’offrir une protection à la fois physique et moral et l’aspiration au bien-être intérieur a toujours été au cœur des préoccupations des designers. Sur ce point, le design scandinave s’écarte sensiblement de traditions plus austères, comme le Bauhaus très inspiré par l’univers industriel. Qu’elle s’exprime par le choix des matériaux, les couleurs, les matières ou les formes organiques,  la chaleur humaine est toujours présente dans le design scandinave, même dans les versions les plus futuristes.

 

Un dernier facteur clef relève, non pas du climat physique, mais du climat moral, politique et social. Les société scandinaves sont traditionnellement inclusives et égalitaires, libérales et tolérantes. Le design y est considéré comme un moyen d’améliorer la vie quotidienne de tout un chacun, et non seulement d’une élite privilégiée. Cela explique la prévalence des objets simples, compréhensibles et bien faits au détriment d’un design plus ostentatoire et spectaculaire.

 

Le premier âge d'or du design scandinave s’étend des années 1930 jusqu'au début des années 1970. Ses pères fondateurs s’appellent Alvar Aalto, Arne Jacobsen, Borge Mogensen, Hans J. Wegner, Verner Panton, Poul Henningsen, Maija Isola, etc.

 

Ces précurseurs ont fourni le modèle et le corpus de valeurs sur lesquelles le nouveau design scandinave continue de s’appuyer aujourd’hui : durabilité, fonctionnalité, fiabilité, honnêteté – mais aussi des valeurs moins matérielles telles que simplicité, égalité, joie, audace, plaisir quotidien, visibles à travers les formes simples, graphiques et souvent colorées du nouveau design scandinave.

 

Les valeurs qui dominent dans le luxe scandinave d’aujourd’hui découlent très directement des influences traditionnelles et modernes. En clair, de la culture viking et du design de la première moitié du XXe siècle. Entre les deux perdure un artisanat rural qui innove peu. On travaille le bois ou d’autres matériaux naturels durant les longues soirées d’hiver.

 

Le premier critère ou la première valeur qui domine le style scandinave est le minimalisme : un esthétisme fonctionnel qui ne recherche ni le style vintage ni un avant-gardisme à tous crins mais s’inscrit dans une contemporanéité intermédiaire, une sorte de « voie du milieu ». Telle est la force scandinave. Les boutiques haut-de-gamme ressemblent à des musées d’art contemporain. On y pratique la rareté visuelle. Au détour d’un mur blanc immaculé, un produit est présenté, comme tombé du ciel. C’est un peu le contraire du luxe : ni profusion, ni ostentation, mais du fonctionnel, de l’utile, le superflu n’a plus vraiment court. Fini le rêve. On se prend en charge. On consomme citoyen, durable, exigeant.  C’est le cas des jeans Acne Studios, le must des Scandinaves, avec ses flagship stores présents dans le monde entier signés par l’Anglais Max Lamb.

 

Les pays scandinaves, dans leur image contemporaine du luxe, tendent à inclure le caractère urbain. Mais un caractère urbain réactualisé, Ce sont désormais, depuis la Seconde Guerre mondiale de manière accélérée, les villes et non plus les campagnes qui fondent la culture scandinave. Ce sont les villes, cosmopolites à souhait, qui voient se confirmer le brassage culturel auquel les Vikings, de leur temps, sacrifiaient déjà à l’intégration de tendances étrangères.

 

S’il est une zone du globe où le luxe s’est largement démocratisé, mêlant ses codes à ceux du peuple, façonnant des univers empreints d’authenticité et d’honnêteté, c’est bien la Scandinavie. Authenticité et honnêteté : on retrouve ces concepts dans la culture locale, inspirée par un protestantisme exigeant, qui développe le sens de la responsabilité mais aussi une attention à l’autre proche de la notion de « société du care ». Le premier parlement du monde était islandais. L’égalité homme-femme avait atteint un niveau enviable dès les grands raids vikings, avant même l’an 1000. Les femmes pouvaient être chefs de tribus, prêtresses et elles partageaient les responsabilités sociales avec les hommes. L’honnêteté, sensible dans les négociations avec les Scandinaves, fait que le bluff méditerranéen n’y a pas sa place. On y joue cartes sur table. L’issue de la négociation est de fait plus rapide. De la même manière, les produits qui ont la cote sont les produits non maquillés, les produits sans logo, les produits utiles, fonctionnels, de qualité. Une dose d’esthétisme épuré peut très bien convenir au luxe à la scandinave. On est très proche des codes japonais : nature, simplicité, matériaux nobles, travail manuel, mélange de tradition dans les méthodes et de modernité dans les formes. Rien d’étonnant si Ikea est né en Suède.

 

Combien de marques dans le portefeuille Hennes et Mauritz (H&M) ? Après &Other Stories, Cheap Monday, Cos, Monki et Weekday, le groupe a annoncé l’arrivée d’Arket, d’emblée positionnée comme le label haut de gamme du géant suédois. Cette nouvelle griffe, installée à Londres dans Regent Street depuis août, cible les consommateurs qui sont soucieux de la qualité de leurs vêtements tout autant que de leur origine. Antidotes à la fast-fashion, toutes les pièces reprennent la simplicité, la fonctionnalité et le confort scandinave. « Il s’agit de démocratiser la qualité, de la rendre accessible », dit-on chez H&M. La fourchette de prix ? Entre 40 et 120 €. C’est également la première fois que le groupe propose un véritable concept-store, un peu à l’image d’Opening Ceremony. On y trouve ainsi d’autres marques, comme Adidas, Nike, etc., un vegan coffee et un restaurant scandinave. « Face à l’e-commerce, c’est un moyen attractif pour susciter l’envie des consommateurs de franchir la porte d’une boutique », commente-t-on encore chez H&M. Son potentiel ? Géant ! Après Londres, Arket s’installera à Bruxelles, à Copenhague, à Munich et à Stockholm.

 

Mais les codes culturels scandinaves ne se limitent pas au minimalisme. La notion de perfection, le sens du détail y sont aussi prégnants. On les retrouve notamment chez Bess Nielsen. Sa rigueur nordique s’interprète dans ses tracés et dans ses palettes colorielles subtiles et justes. Cette Danoise a cofondé Epice en 1999, avec Jan Machenhauer. Une marque qui évoque davantage les parfums de l’Inde que les rigueurs du Nord… Marque hors temps, hors modes, Epice a un pied à Paris, l’autre à Copenhague. « Au Danemark, les gens privilégient les couleurs comme un signe d’équilibre et d’énergie. Elles y vibrent différemment en raison d’un ciel bas et d’un hiver long et sombre. Les tonalités de nos produits sont les reflets des nuances de la Scandinavie », commente la créatrice qui, par son goût des voyages, a tissé des liens privilégiés avec des artisans indiens. C’est donc en Inde que ses pièces douces au toucher sont imprimées et tissées manuellement, dans de petits villages où Bess Nielsen soutient l’éducation des filles. Présente dans 500 points de vente répartis dans le monde – dont une centaine en France –, Epice élargit sa gamme avec des tee-shirts et signe sa première collaboration avec Uniqlo.

 

L’écologie est depuis longtemps un mouvement actif et démocratisé, lui aussi, dans les pays scandinaves. La nature est proche. Les villes restent de taille modeste. La densité de population est faible. Il s’agit donc de préserver les espaces naturels, la flore et la faune dont la richesse frappe la conscience scandinave. Question de géographie, question de tradition aussi : l’animal était jadis sacré. On ne le tuait pas dans des abattoirs mais avec le respect qui lui était dû, au cours de cérémonies rituelles.

 

Le marketing scandinave du luxe récupère donc avec sincérité les préoccupations écologiques en développant le concept d’eco-luxury. C’est le cas de la marque de mode Filippa K. Reducing, Repairing, Reusing et Recycling. Cette marque suédoise est l’une des chefs de file du mouvement eco-luxury scandinave. La notion de sustainability accompagne la créatrice à chaque étape. Toutes les matières sont sourcées, autant pour leur qualité de confort que pour leur origine éthique et bio. Vous ne voulez plus de votre pièce Filippa ? Echangez-la en boutique contre un escompte de 15 %. Le modèle sera remis à une association caritative ou revendu dans la boutique seconde main de la marque. Fondée en 1993 par Filippa Knutsson et Patrick Kihlborg, Filippa K a réalisé un chiffre d’affaires 2016 de plus de 70 M € et est distribuée dans 20 pays. Soit 700 points de vente, dont le Printemps en France, et 20 boutiques en propre.

 

On reste dans les valeurs écologiques avec Norrona, très ancrée dans la culture locale. Un premier de cordée présent sur le marché de l’outdoor.

 

Norrona, est l’une de ces marques scandinaves où chaque ligne porte le nom d’un fjord ou d’une montagne. Cette marque, a priori de niche, qui n’a aucun concurrent sur son segment de marché – hormis, peut-être, la canadienne Arc’teryx –, bénéficie d’une notoriété de 98 % chez les pratiquants d’outdoor et, grâce à ses valeurs écologiques, bascule doucement dans l’urbanité. Norrona a été fondée en 1929, à Oslo, par Jorgen Jorgensen et y a toujours son siège. Quand son arrière-petit- fils – qui porte le même nom – reprend les rênes de l’entreprise familiale en 2005, celle-ci n’a jamais franchi les frontières de la Norvège, où elle réalise un chiffre d’affaires de 12 M €. Aujourd’hui, il s’élève à 56 M €, dont la moitié est réalisée à l’export. Tout en cultivant son ADN (fonctionnalité, qualité et design), Jorgen Jorgensen a propulsé Norrona sur la scène internationale et en a fait un label en accord avec sa philosophie écologique. Chaque vêtement est garanti dix ans, et les collections ne sont renouvelées que tous les trois ans. D’ici à 2020, Norrona n’utilisera plus que des matériaux 100 % recyclés. La marque ambitionne aussi de convertir à l’écologie l’ensemble du secteur outdoor, qui revendique sa proximité avec la nature, mais qui reste, semble-t-il, encore trop peu sensible aux valeurs écologiques.

 

Adeptes de l’égalité, les scandinaves cherchent à la réaliser à travers leurs marques et notamment leurs marques de luxe. Les différences générationnelles, qui constituent, avec le vieillissement de la population et l’endettement des pays occidentaux, la rupture sociétale la plus porteuse, à terme, de conflits, sont aussi prises en compte par certaines marques. C’est notamment le cas de Our Legacy, marque trangénérationnelle.

 

Cette jeune marque suédoise est en train de conquérir les concept-stores du monde entier. Tout a commencé par une histoire d’amitié entre Jockum Hallin et Christopher Nying, deux des trois fondateurs, avec Richardos Klarén, qui ont d’ailleurs décidé d’inscrire leur date de naissance (1980 et 1981) sur les étiquettes de leurs pièces. « Nous avions juste envie de créer des vêtements naturels, qui durent dans le temps sans fatiguer les gens, une sorte d’héritage pour nos enfants », confie Jockum Hallin. C’est comme ça que ce label, sorte d’APC à la sauce scandinave, a vu le jour à Stockholm il y a douze ans, avec, pour commencer, une timide collection de tee-shirts. Aujourd’hui, la marque compte deux boutiques à Stockholm, une à Londres, deux à venir aux Etats-Unis et 250 points de vente dans le monde. L’hiver dernier, on assistait ainsi à la présentation d’une collaboration très californienne avec Vans. Ce printemps, Our Legacy nous étonnait avec Objects, une collection d’accessoires minimalistes chic entièrement produits en Italie, à Florence. Et demain ? « On est encore une petite société avec un chiffre d’affaires d’environ 7,5 M €, mais nous sommes en train de vivre un très bon moment. On veut continuer à progresser et à développer le retail, tout en gardant notre indépendance. Prochainement, on compte ouvrir une boutique à Los Angeles et une autre à New York. »

 

L’ouverture culturelle, l’emprunt raisonnable aux cultures étrangères, fait aussi partie de la tradition millénaire dans les pays scandinaves. Et quel est le pays le plus proche de la Suède, malgré les différences, sinon la France ? Après tout, le roi de Suède Jean-Baptiste Bernadotte n’était-il pas français ? Une marque symbolise bien ce pont franco-suédois, c’est Ron Dorff.

 

« Nous achetions notre sportwear aux Etats-Unis, mais il fallait toujours reprendre les tailles, qui n’étaient pas très seyantes, raconte Claus Lindorff, l’un des deux fondateurs. Du coup, en 2011, nous avons décidé, avec Jérôme Touron, de créer nos propres pièces. » Ron Dorff est donc l’abréviation de « Touron » et de « Lindorff ». Cinq ans plus tard, ce petit label a ouvert un nouveau segment de marché dont, bien sûr, il est le leader. Autour de la simplicité et de la fonctionnalité, valeurs scandinaves infusées d’un certain goût parisien pour le chic, leurs cinq basiques aux couleurs neutres et sans logo sont progressivement devenus des pièces fondamentales à porter toute l’année, qui ont ensuite été complétées par un vestiaire de sweatshirts, de joggings et de running-shirts, puis par une ligne féminine courte et des cosmétiques. Après une première boutique dans le quartier du Marais, à Paris, en 2013, Ron Dorff a ouvert un flagship de 200 m2 à Londres, deux ans plus tard, et se déploie progressivement à l’international avec 120 points de vente en Corée et au Japon. Les objectifs ? L’Allemagne, avec l’ouverture d’une boutique à Berlin, puis le marché américain, que les deux compères sensibilisent via un e-shop.

La marque Samsoe & Samsoe, elle aussi sensible aux influences extérieures, fait le choix de l’avant-garde Si la nouvelle vague des stylistes nordiques est désormais présente dans tous les prix internationaux, c’est en partie grâce à cette marque danoise, fondée en 1993, à Copenhague, par les frères Samsoe. Chaque saison, ils renouvellent le tailoring scandinave et le mixent à de multiples influences culturelles. Un style affirmé, bien en phase avec le goût des millennials. A l’approche de 2020, Samsoe & Samsoe fait référence à l’East End londonien et joue la carte de l’oversize. Aujourd’hui, la marque compte 2000 points de vente dans le monde (dont 45 boutiques en Europe du Nord), et réalise un chiffre d’affaires de 140 M €.

 

La marque se veut éternelle, c’est bien connu. Le publicitaire français Jacques Séguéla l’écrivait pour justifier son concept de charte créative fondée sur la star-stratégie : il fallait concevoir la marque selon la trilogie presque mystique physique / caractère / style qui avait fait florès à Hollywood pendant la grande époque, des années 1930 aux années 1960. Mais seule la marque était alors éternelle. On se dirigeait allègrement, à l’inverse, vers des produits éphémères, euthanasiés par l’obsolescence programmée.

 

Le dimanche, dans son garage, Anton Sandqvist bricolait de vieux vélos qu’il enfourchait pour sillonner les forêts suédoises. Mais il lui manquait quelque chose : un sac. Un sac ergonomique, fonctionnel, solide et léger qui n’entraverait pas sa course… Il achète alors une machine à coudre d’occasion et s’en confectionne un. Le sac d’Anton Sandqvist ne passe pas inaperçu. Très vite, d’ailleurs, le jeune ingénieur en fait fabriquer une centaine d’exemplaires dans une petite manufacture d’Estonie, qu’il part vendre à vélo dans les boutiques de Södermalm. Deux ans plus tard, en 2006, il crée Sandqvist avec son frère Daniel et leur ami, Sebastian Westin. La marque est aujourd’hui distribuée dans 38 pays et 600 points de vente, qui réalisent un chiffre d’affaires de 80 M € par an. « Notre volonté a toujours été de créer des produits inusables, mais il arrive parfois qu’on s’en lasse. Pourquoi jeter ? D’autant qu’en Suède, sur les 13 kg de textile consommés par personne chaque année, seuls 3 kg sont recyclés », commente Sebastian Westin. D’où l’idée de donner une nouvelle vie à un vieux sac et de réduire la charge environnementale. Depuis 2017, tous les points de vente ont un corner Sandqvist Repair Shop. On vient y faire réparer son sac abîmé ou l’échanger contre un à-valoir de 20 % si on n’en veut plus. Auquel cas le sac est remis en état pour être vendu en seconde main ou entièrement démonté. Ses pièces seront alors réutilisées pour un nouveau sac. Lequel s’imprègne ainsi d’un supplément d’âme…

 

Le goût de l’artisanal et du « fait main » demeure l’un des grands classiques du luxe à la scandinave. C’est le leitmotiv de Stutterheim, expert ès gouttes de pluie. Il a dû falloir une sacrée pratique de la pluie à Alexander Stutterheim pour imaginer sa ligne d’imperméables ! Un label qui buzze autant à New York qu’à Milan, via des corners chez Barneys, Dover Street Market, Isetan, etc., soit une centaine de points de vente et deux boutiques (Stockholm et New York). C’est en 2010 qu’il a l’idée de revisiter le ciré de pêcheur que portait son grand-père, dans les années 60. La ligne est courte, essentielle, et chaque pièce est réalisée 100 % à la main. Un artisanat qui flirte avec un luxe à la française ou à l’italienne, car l’homme est allé jusqu’à faire fabriquer différents cotons caoutchoutés afin de répondre à chaque type de pluie. Last but not least : il utilise un procédé de couture doublement soudé, qui garde au sec même sous les pires conditions météo. Un talent et des qualités qui n’ont pas échappé à Marni, avec qui Stutterheim s’est associé pour sortir une collection capsule très attendue.

Le luxe à la scandinave
Le luxe à la scandinave
Le luxe à la scandinave
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12 juillet 2020 7 12 /07 /juillet /2020 05:50

Quelques livres à lire cet été : mes dernières publications. Six titres noirs chez Amazon en partenariat avec les éditions Cosmo, le portrait d'un torero biterrois, un essai sur un peintre écossais du XXe siècle, un livre noir avec Yves Brun, une traduction d'un texte japonais du XIIIe siècle, un livre fantastique très londonien en hommage au poète Thomas Chatterton, suicidé.

Et bien sûr, plus fort que tout, la traduction en anglais (mais elle n'est pas de moi) d'un roman de l'immense Keiichiro Hirano (si vous ne le connaissez pas, c'est que vous n'êtes pas de mes amis !), "A Man", le chef-d'oeuvre de la décennie... et l'un des livres du siècle.

Keiichiro Hirano est un étonnant mélange de modernité et de permanence littéraire. Ce jeune auteur, qui se trouve déjà vieux, peut écrire sur le XVIe siècle, sur le XIXe siècle ou sur notre époque. Il ne cherche évidemment pas à être "de son temps" comme les incultes et les inattentifs, mais il se serre contre lui-même jusqu'à atteindre à l'universel.

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8 juillet 2020 3 08 /07 /juillet /2020 21:08
Christian Soleil sort bientôt "Tulse Hill Café", roman ésotérique
Christian Soleil sort bientôt "Tulse Hill Café", roman ésotérique

Le narrateur, de passage à Londres, prend refuge au Tulse Hill Café, un établissement discret du quartier éponyme, sur Norwood Road. Là, il fait la connaissance d'un jeune homme diaphane et évanescent, qui lui tient un discours mystérieux et empreint d'images et de symboles. Son nom : Thomas Nelson.

 

Mais quel est son lien avec l'illustre poète Chatterton, faussaire génial, suicidé le 24 août 1770 à Holborn ? Quelle mission secrète souhaite-t-il confier au narrateur ? Et pourquoi maintient-il que le Tulse Hill Café n'est pas vraiment de ce monde ?

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8 juillet 2020 3 08 /07 /juillet /2020 03:56
Christian Soleil publie "Duncan Grant à l'orée de la Grande Guerre"

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6 juillet 2020 1 06 /07 /juillet /2020 13:44
Luxe et Japon
Je mène actuellement, pour une organisation française, et pour quelques mois, une enquête approfondie sur la notion et le marché du luxe au Japon, avant de faire la même chose pour le luxe à la scandinave. Ces travaux vont aboutir ensuite à une série de conférences et à une publication (en fait, deux publications) sur le sujet.
 
Dans un pays à la culture raffinée et tournée vers les loisirs comme le Japon, trente années de stagnation, depuis l'éclatement de la bulle financière, ont freiné l'évolution de ce marché. Les jeunes retraités d'aujourd'hui avaient trente ans lors de l'éclatement de la bulle, dans les années 1990. Grâce au faible taux de chômage, ils continuent pour la plupart de travailler et cumulent retraite et petits boulots. Ils restent donc de grands consommateurs de biens de luxe, notamment de bijoux, qu'ils transmettront à leur famille, ce qui contribue au renforcement du marché du luxe.
 
A l'autre bout de la chaîne, une grande partie de la jeunesse, frappée dans l'adolescence par le séisme de mars 2011, le tsunami qui en a prolongé la caractère catastrophique et le drame nucléaire de Fukushima - même si la France, du fait de ses intérêts puissants en la matière, a nié avec un humour grandiose le caractère "nucléaire" de l'explosion - une grande partie de la jeunesse, donc, pleinement conscient du caractère éphémère de toute chose, a décidé de profiter de chaque instant pour consommer, avant qu'il ne soit trop tard.
 
Du coup, le marché du luxe au Japon a repris du poil de la bête et se porte mieux que jamais. Il est le troisième marché du luxe au monde - alors que la population du Japon est faible, à peine deux fois la France - et porte des caractéristiques spécifiques qui correspondent à la culture japonaise dans son ensemble. On peut les résumer en quelques traits, qui ne seront bien sûr pas développés ici.
 
D'abord, le caractère éphémère. Le luxe, au Japon, c'est aussi ce qui ne dure pas. Normal, dans un pays soumis aux sourdes forces du dragon souterrain, où séismes, typhons, inondations, tsunamis et éruptions volcaniques sont presque le lot quotidien. L'impermanence des choses, ce n'est pas qu'une parabole du Bouddha, mais un vécu quotidien. Sans parler de ce qui fâche : Hiroshima, Nagasaki, la disparition de la notion de progrès.
 
Du coup, l'innovation permanente sur le fond comme sur la forme, les magasins éphémères, la nouveauté même superficielle ont la cote. Tout devient mode - un feu de paille. Le luxe premier, c'est quand même la fleur de cerisier, cette délicatesse qui se consume en quelques heures, comme l'amour qui ne se réalise pleinement que dans la mort, comme la beauté, "tôt vouée à se défaire". Mourir, disparaître, renaître : le cycle naturel du samsara, la vision circulaire du temps, engendre aussi le goût de l'innovation et de la créativité. Il faut renouveler, inventer, façonner un monde nouveau. D'où les investissements colossaux en R&D, la prééminence de l'art dans la société depuis des siècles, et un esthétisme qui envahit la société, de l'art du thé selon Sen no Rykyû au design omniprésent dans l'industrie, la décoration comme l'architecture.
 
Le luxe, c'est aussi l'emballage et le packaging. De même que l'on multiplie, dans les sanctuaires shintô, les portes qui rapprochent du coeur mais n'y mènent jamais, le coeur étant par essence insaisissable, le moindre objet, même banal et anodin, est mille fois emballé, empaqueté, "momifié", bref, sacré. Dans le cadeau, c'est bien sûr l'emballage qui compte, comme mille circonvolutions pour dire son amitié, son amour, sans jamais le formuler parce que l'essentiel ne se dit pas : il s'éprouve. Tout objet est sacré. Il a bien sûr une âme. "Objets inanimés..." Le shintoïsme traverse le monde contemporain sans qu'on y prenne garde. Il fonde la perception du monde, jamais très loin sous la surface de la société de consommation. Sans doute contraire d'une pensée écologique du dépouillement, de l'épure - pourtant très présente aussi, mais c'est là la contradiction fondamentale, comme celle qui oppose le wabi et le sabi, et la contradiction crée l'équilibre, l'harmonie, le wa.
 
Le luxe, c'est bien sûr le silence, mais au Japon, le silence est partout. Tout est luxe alors ? Tout est sacré ? Tout est respect ? Le métro à l'heure de pointe ? La file d'attente dans les gares ? Le client salué mille fois, honoré, remercié ? Le silence, c'est la base sur laquelle fonctionne l'accueil. Accueillir, au Japon, c'est un art. Un art valorisé, enseigné, noble. C'est souvent la France qui l'invente, qui en définit les procédures, qui forme les salariés. C'est toujours le Japon qui pratique. La moindre boutique de quartier applique au Japon les règles qui prévalent avenue Montaigne. D'où la fascination qu'exerce la France pour ceux qui ne la connaissent pas : une France de culture et de raffinement. D'où le syndrome de Paris, cette dépression qui exige le plus souvent hospitalisation et rapatriement immédiat des touristes nippons : la première image du pays visité n'est pas conforme au fantasme de départ : saleté, mendicité, agressivité n'étaient pas au programme.
 
Le luxe répond aussi au Japon à la nécessité de la perfection. Le prix compte peu dans les échanges commerciaux au regard de la volonté d'accéder à ce qu'il y a de meilleur. Pas facile de faire des affaires avec un peuple prêt à renvoyer des palettes d'huile d'olive parce que le coin d'une étiquette sur une bouteille unique tend à se décoller légèrement. Le hasard n'a pas sa place. Ce n'est pas un concept envisageable. Tout doit être prévu, ficelé, planifié, anticipé. Les négociations sont éternelles comme les neiges du Fuji. Les prémices de l'amour aussi. Au Japon, on passe son temps à monter l'escalier. Les ascenseurs eux-même ont une sensualité propre.
 
L'image de la France se porte bien au Japon. Nous restons, malgré les dérives, le pays du raffinement, du luxe, de la culture et des arts. Il me semble d'ailleurs que la culture française est bien mieux défendue dans cet archipel menacé de submersion que chez nous : on loue nos peintres, on lit nos grands auteurs, avec plus de ferveur à Tokyo qu'à Paris. Certains de nos artistes maison disposent de leur musée dans la capitale nippone alors qu'ils sont oubliés chez nous. J'ai pu discuter de Camus, de Cocteau, de Guibert dans un bar de nuit de Shinjuku alors que je m'attendais à parler de Kanô Masanobu et de ses suiveurs, de Ryûnosuke Akutagawa, de Yukio Mishima, de Yasunari Kawabata ou de Keiichiro Hirano.
 
La qualité de l'artisanat traditionnel compte aussi beaucoup au Japon. Le luxe, c'est avant tout des métiers. Dans ce pays qui ne distingue guère l'art de l'artisanat, où l'utile rejoint le beau et où la fonction façonne la beauté, un sabre n'a de sens que si sa lame coupe à la perfection. Si l'artisanat fut moins valorisé dans les décennies d'après-guerre où l'industrie devait reconstruire le pays - il n'avait pas disparu pour autant - il a retrouvé ses lettres de noblesse depuis la fin du XXe siècle.
 
Goût de l'éphémère, créativité constante, enveloppement, silence, perfectionnisme, qualité de service. L'idéal du luxe japonais n'est pas très éloigné de celui de la France. La distance géographique n'induit pas forcément la distance culturelle. L'étude des différences culturelles mène souvent au constat d'une proximité culturelle inattendue. Peut-être faudrait-il ajouter la culture du "kawaï", le goût de ce qui est petit : chiots, chatons, objets miniature, etc. Elle imprègne désormais le luxe lui-même. Normal : ce qui est petit entraîne par nature le développement d'un sens de protection chez l'homme comme chez la femme. Une sorte de "société du care" où chacun éprouve une forme de responsabilité à l'égard d'autrui. C'est sans doute sur l'opposition entre les notions sociologiques d'individualisme et de collectivisme que persistent les différences les plus frappantes.
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4 juillet 2020 6 04 /07 /juillet /2020 17:22
Christian Soleil interviewe Carlos Olsina

Christian Soleil, dans “Carlos Olsina”, la promesse de l’aurore, revient sur le début de carrière fulgurant de ce jeune artiste qui a voué sa vie aux “toros”. Carlos Olsina offre à l’auteur un entretien très fourni où il revient sur son goût pour la tauromachie, son attirance pour l’univers taurin, sur les fondements du désir et de la peur qui se tricotent toujours et se répondent en écho.

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3 juillet 2020 5 03 /07 /juillet /2020 13:48
Keiichiro Hirano's "A Man" : a world of its own

Once you’ve read A Man, you have to reread it. Not that it is in any way unclear. But this novel by Keiichiro Hirano is like a bunch of new friends you feel like seeing again and again. Those new friends, of course, and the story itself, I should say all the intricated stories that run through the text, are parts of the same personality – don’t ask me what a personality is. This personality is the author himself : Hirano-san. I really think he is the most talented living writer I have ever read. He seems to fly above the universe, above Japan, above his characters, above places and people and feelings. He seems to be always high, somewhere in the distance, over the rainbow maybe. He seems to know what lies within the heart and the soul of all the characters in the novel. Each of them seems to be the central one when it comes to its moment. Hirano-san seems to be as brilliant, when it comes to the psychology of the men and women of his time, as was Shakespeare or as was Mishima. His understanding is profound and wise. His creation is vibrant and breathtaking. His novel lis full of a paternal love that dare not say its name. There is something melancolic in the story that is full of stories. There seems to always be something missing. A certitude. A verticality. A sky ready to open itself. I sometimes wonder if the tree is not the main character of this work. Silent. Unmoving. Terribly present. Alive. While all the life around could be nothing than an illusion.

 

A Man is Keiichiro Hirano's first novel to be translated into English. I was high time. Before I talk about the novel I must mention the excellent translation, which is so important when reading translated fiction. And so to the novel : this is a gem of a novel. The central character, although this nove lis so fluid that you can hardly call him that, is a lawyer called Akira Kido. He is asked by a widow to investigate her dead husband, who was living a lie. After he died she discovered he wasn't the man he claimed to be.

 

Kido finds himself drawn to the dead man, his story and his life. It makes him question his own life and identity. And identity, culture and history are at the heart of this novel. Although this novel has a man acting as an amateur detective, it is so much more. It's a man considering life, how important identity is, the chance of choosing an alternative life and Japan's problems with racism, the impact and after effects of the 2011 Great East Japan Earthquake. This is a novel that demands time to be read and time to consider all of the issues raised. And yet, the only thing whose identity seems stable and cannot be questioned is a tree, representing a man who is no longer there.

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28 juin 2020 7 28 /06 /juin /2020 16:17

Au-delà du phénomène médiatique, il existe souvent une relation forte entre les auteurs et les lecteurs. Relation qui peut être reconnue, dite, commentée, comme c’est notamment le cas pour Amélie Nothomb, une autrice qui n’hésite pas à nouer des relations « amicales » et personnelles avec ses lecteurs les plus admiratifs. Après tout, la part de l’auteur que l’on trouve dans les livres est souvent une part essentielle, et ce type de relation n’est pas moins authentique que, par exemple, la relation amoureuse où l’on croit apprécier chez l’autre les qualités qui nous manquent et dont nous pensons qu’elles pourront compenser le vide profond qui nous habite. Relation qui peut être plus discrète, pudique, tue.

Par leurs romans (mais il peut aussi s'agir de témoignages, de récits inspirés du réel, la réalité étant une autre forme de fiction), les auteurs donnent à voir une identité singulière et expressive. C'est d'ailleurs celle-ci qui est mise en scène et en valeur par les innombrables portraits des auteurs qui accompagnent les articles et publicités sur les livres. Les lecteurs perçoivent et reçoivent cette personnalité à partir de leur propre particularité. Les histoires racontées, les thèmes, les lieux, les musiques sont autant de points de rencontres avec leur histoire personnelle. C'est alors une communication directe et forte qui se dessine.

Par-delà le statut de chacun, la personne du lecteur rencontre la personne de l'auteur même si bien sûr l'auteur peut cacher sa personne derrière son statut d'auteur. L’auteur, en se cachant, est d’ailleurs souvent en train de se dévoiler sans le savoir. Il exprime une vérité profonde qui souvent lui échappe. Ainsi, la scène où Kido, l’avocat personnage principal du roman A Man de Keiichiro Hirano, prépare les décorations du sapin de Noël après avoir endormi son jeune fils, en écoutant un CD de Masabumi Kikuchi et Masahiko Togashi, si anodine, voire superflue qu’elle paraisse, révèle un moment de conscience, donc d’incertitude et de doute, dont on sent bien qu’il est une représentation d’un fragment de vie.

C'est cette communication directe et profonde qui touche les uns et les autres. Les témoignages des auteurs sur leurs relations avec certains lecteurs expriment de façon forte l'intensité de l'échange. Certains lecteurs sont transformés par leur lecture et le font savoir à quel point aux auteurs. Ce lien interpersonnel, libre, où le lecteur a élu et lu un livre, et un auteur apparaît comme un bien précieux. L'auteur de son côté, ne peut qu'être touché par les signes de sa capacité à s'adresser aux lecteurs dans leur sensibilité personnelle. Il en reçoit une reconnaissance de son activité créatrice. La force de cette communication réside dans sa correspondance à l'idéal de la relation interindividuelle aujourd'hui : liberté d'une relation interpersonnelle choisie et réversible.

Et cette relation lecteur-auteur se charge d'une dimension supplémentaire. Elle donne à voir une forme renouvelée de la puissance universelle de la création artistique. L’œuvre, par ses capacités formelles, n'a pas nécessairement la capacité à toucher le public dans sa diversité. En revanche certaines œuvres ont le pouvoir de toucher certaines personnes voire de les transformer. Cocteau parlait de toucher « âmes fraternelles » : il ne s’agissait pas de séduire les foules, qui ne choisissent pas et suivent les injonctions des messages publicitaires, adoptant les goûts comme les désirs des autres, mais d’effleurer la sensibilité profonde, le « soi » plutôt que l’ego, cette zone de l’être qui touche à l’universel. Il existe une alchimie des relations entre les œuvres et leurs lecteurs qui conduit (ou non) à des rencontres décisives. A l'instar de l'amour qui se pare d'une dimension universelle par la force du lien qu'il parvient à dresser entre deux sujets libres, le livre et son auteur réussissent à établir une communication profonde avec certains lecteurs. La dimension universelle de l'art ne repose plus centralement sur son pouvoir de rassembler des publics par-delà leurs différences mais sur celui d'offrir à chacun (livre-auteur et lecteur) une possibilité de rencontre personnelle fondée sur notre singularité. C'est au cœur du lien personnel, libre et particulier que se loge l'universalité actuelle de l'art et de la littérature.

Quelques auteurs, morts ou vivants, ont eu le don de participer à la construction de qui je suis aujourd’hui : Jean Cocteau et Marguerite Yourcenar dès l’enfance, Mishima Yukio, Françoise Sagan, William Irish et Patricia Highsmith dans l’adolescence, Hervé Guibert, et finalement Keiichiro Hirano, le premier auteur plus jeune que moi. Ces rencontres eurent des effets décisifs sur le cours de mon existence. J’écrivis ainsi une dizaine d’essais sur Cocteau et son œuvre et devint l’ami, dans les dernières années de sa vie, du fils adoptif de Cocteau, le peintre et acteur Edouard Dermit, passant des week-ends réguliers dans la maison du poète à Milly-la-Forêt. Mon admiration pour l’œuvre de Mishima est l’un des éléments clefs – mais il n’est pas le seul – qui m’amena à séjourner, au cours des trente dernières années, de longs mois à Tokyo et plus largement au Japon, à y fonder une « famille » peu conventionnelle, à me rendre chaque année devant la maison anti-Zen de Magome, à effectuer le trajet de Mishima aux dernières heures de sa brève existence, à écrire une série d’essais non encore publiés sur l’auteur qui a fait de sa vie un œuvre au noir. Hervé Guibert, quant à lui, que j’ai suivi dans ses nuits parisiennes comme un grand frère, m’a amené à écrire, dix ans après sa mort, une biographie que je n’aurais pas pu aboutir sans le soutien de sa veuve Christine. L’être multiple Keiichiro Hirano m’a ouvert les yeux, à travers ses livres, sur la fluidité de l’identité dont j’avais le pressentiment, en la nommant et en la mettant en scène dans ses récits, comme David Bowie l’illustra, d’une façon sans doute plus schizophrénique, à travers les personnages qu’il incarna, de Ziggy Stardust au Thin White Duke. Mais là où Bowie passa successivement d’un personnage à l’autre, maintenant intacte l’identité sous-jacente de David Robert Jones, Keiichiro Hirano souligne l’intensité adaptative des êtres, cette sorte de patchwork changeant qui nous constitue : la multiplicité qui fonde l’unicité de notre être. L’individu existe : il est la somme des « dividus » qui le composent. J’ajouterais – mais Keiichiro ne le dit pas et peut-être ne le pense pas – que les dividus peuvent être partagés, mis en commun : c’est le sens de la fraternité naturelle du lecteur et de l’auteur. Cette fraternité est parfois illusoire : une identification qui tente de réparer les frustrations personnelles, comme dans l’état amoureux. Elle peut aussi être pleine et entière. L’un est alors un peu l’autre, comme dans la phrase de Marguerite Yourcenar à Pivot. C’est alors l’une des formes de l’amour véritable, dont l’objet s’élargit jusqu’à l’universel, à la manière d’un univers en expansion, et ne saurait être limité.

Bien sûr, d'un point de vue d'observation sociologique, l'universalité n'est pas toujours au rendez-vous. Si tous les Français ont vocation à accéder aux « œuvres capitales de l'humanité » (comme les désigne le décret de création du ministère de la Culture en 1959), on sait depuis longtemps que c'est loin d'être le cas. Il est tout à fait possible que la nouvelle conception de l'universalité de l'art par le dialogue interpersonnel à travers l’œuvre ne concerne pas la totalité de la population. Et le repli de la lecture d'imprimé invite à la prudence même si une part importante de la population y reste attachée. Mais il n'est pas vain de pointer la reformulation de la conception universelle de l'art car cela indique son actualité. La littérature a encore de beaux jours devant elle...

L'auteur et le lecteur : une relation intime
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28 juin 2020 7 28 /06 /juin /2020 16:12

Il existe plusieurs manières d'aborder un roman. On peut le lire comme le produit d'un auteur, connu ou inconnu, et reconnaître, volontairement ou non, consciemment ou non, l'auteur en question derrière chaque détail de l'oeuvre. Ainsi, dans "A Man", si l'on considère que le livre est le produit de l'imagination ou de l'esprit de Keiichiro Hirano, on retrouvera l'écrivain japonais dans chacun des personnages : il sera aussi bien la veuve de X, le mystérieux mari à l'identité méconnue, le mari perdu, l'avocat chargé de l'enquête, mais aussi le fils de Kido que l'avocat borde le soir dans son lit, le doute et les incertitudes qui habitent chaque personnage, le Shinkansen qui fend le paysage urbain tokyoïte ou la menace permanente d'un tremblement de terre. Flaubert l'écrivait déjà : "L’auteur dans son oeuvre doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part."

Ce n'est évidemment pas la seule manière d'aborder une oeuvre, et notamment un roman. On peut aussi gommer sur la couverture le nom de l'auteur et, suivant les préceptes de Roland Barthes, nier toute implication de la volonté d'un auteur, considérer comme l'oeuvre en soi, détachée de son "producteur". Nietzsche avait déjà tué Dieu ; il ne restait qu'à dissoudre l'écrivain.

Dans son article "La Mort de l'Auteur" ("Le Bruissement de la langue", Paris, Seuil, 1984, pp. 61-67), Roland Barthes fait de la condition essentiellement verbale de la littérature le propre de la modernité. Ainsi la littérature n'est-elle plus rapportée à un auteur qui en serait à l'origine, mais au langage lui-même: c'est le langage qui parle, ce n'est pas l'auteur. L'écriture apparaît donc comme un espace neutre où la voix (de l'auteur) perd son origine, et où l'énonciation est conçue comme processus vide, c'est-à-dire comme une fonction du langage.

Si le texte moderne implique la mort de l'Auteur, il procède à la naissance du scripteur: le scripteur moderne naît en même temps que son texte. Roland Barthes opère donc un renversement où le texte n'apparaît plus comme le produit d'un écrivain, mais comme un espace producteur, l'exemple le plus caractéristique de cette puissance de l'écriture étant représenté par ce que la linguistique a appelé le performatif; à la pointe de ce renversement, ce n'est plus l'oeuvre qui imite la vie, mais la vie qui imite l'oeuvre.

Barthes oppose dès lors, à l'expression de l'auteur manifestée par la voix, l'inscription du scripteur, dont la main trace un champ sans origine - ou qui, du moins, n'a d'autre origine que le langage lui-même. Cette disparition de l'auteur qui s'absente dans l'écriture débouche sur une nouvelle conception du texte, en tant qu'espace à dimension multiples, où se marient et se contestent des écritures variées, dont aucune n'est originelle: le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de la culture. Le rôle de l'écrivain se borne dès lors à mêler les écritures.

Cette modernité du texte implique l'exemption du sens: il n'y a pas de fond à quoi ramener l'oeuvre. La mort de l'auteur conduit, logiquement, à celle du critique, désormais relayé par le lecteur. Le lecteur représente en effet le lieu où la multiplicité du texte se rassemble: l'unité d'un texte n'est pas dans son origine, mais dans sa destination.

A la fonction du «scripteur» correspond donc celle du lecteur, toutes deux produites par le texte en tant qu'espace autonome, et se substituant au couple de l'auteur et du critique.

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23 juin 2020 2 23 /06 /juin /2020 20:56

La Cabane de dix pieds carrés, ou Hôjôki, figure parmi les chefs d’œuvre de la littérature japonaise du treizième siècle. Ecrit par un aristocrate retiré du monde, ce récit brosse le panorama de toute une vie en prise aux difficultés de l’existence, de la nature et des hommes. Kamono-Chômei décide au soir de sa vie de tout quitter pour aller vivre dans la montagne.

" Si par une soirée tranquille, à ma fenêtre, je pense à de vieux amis tout en contemplant la lune, et si j'entends les cris du singe, je mouille ma manche de mes larmes. Lorsque, sur les buissons, je vois des vers luisants, c'est comme si j'apercevais au loin les feux de pêche de Makishima, et le bruit de la pluie matinale ressemble bien à celui du vent qui secoue les feuilles des arbres. Quand j'entends l'appel des faisans, j'ai l'impression d'entendre mon père ou ma mère, et si je constate que même les cerfs des sommets de la montagne s'approchent tout près de moi sans crainte, je comprends à quel point je suis loin du monde. Quand je m'éveille et ranime le feu qui couvait sous la cendre, j'y vois comme un compagnon fidèle de mes vieux jours. Je ne suis pas dans une montagne bien terrible ni déserte, mais alors que la simple voix du hibou suffirait à m'émouvoir, que dire de ces paysages de montagne, infiniment variés selon les saisons ! Il faut ajouter que l'intérêt d'une pareille vie ne pourrait que accroître encore pour quelqu'un qui approfondirait ses pensées et essaierait d'acquérir un savoir profond. " Kamo no Chômei, "La Cabane de dix pieds carrés" (traduction Christian Soleil), éd. Amazon KDP-Cosmo éditions, 2020, 24,99 USD

Christian Soleil traduit le Hôjôki de Kamano-Chômei
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