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21 avril 2024 7 21 /04 /avril /2024 19:00
La dernière

Dans le halo tamisé des coulisses, quand la lumière des projecteurs s'évapore dans l'ombre, une mélancolie voilée flotte dans l'air, palpable comme le parfum de roses fanées. Les rideaux se sont abaissés, les derniers applaudissements se sont éteints dans l'écho de la salle, et il ne reste que nous, les acteurs, face au vide qui s'installe.

 

C'est souvent ainsi, après la dernière représentation. Un mélange de soulagement et de nostalgie s'empare de nous, tandis qu'une vague douce-amère nous emporte loin du rivage familier de notre art. Pendant des semaines, pendant des mois, nos vies composaient un ballet chaotique rythmé par les répétitions, les costumes qui prenaient vie sur notre peau, les mots qui résonnaient dans nos esprits comme une ritournelle obsédante, les fous rires communicatifs.

 

Et puis, soudain, c'est fini. Comme une chanson qui s'achève sur une note suspendue, nous voilà abandonnés à notre propre silence. Il y a quelque chose de déconcertant dans cette transition, comme si le monde avait cessé de tourner pendant que nous étions captivés par notre propre création.

 

Mais ce n'est pas seulement la fin d'une pièce, c'est la fin d'une époque. Car au-delà des costumes et des décors, au-delà des rôles que nous avons endossés comme des masques, il y eut des liens tissés, des amitiés forgées dans le feu de l'émotion partagée, la confirmation de la grande famille du théâtre. Nous avons ri ensemble, pleuré ensemble, transcendé ensemble les limites de notre propre être pour donner vie à quelque chose de plus grand que nous.

 

Et maintenant, nous voilà confrontés à ce vide, à cette absence qui nous déconcerte. Nous sommes comme des oiseaux qui ont quitté leur nid, des vagabonds de l'âme errant dans les dédales de nos pensées. Mais dans cette obscurité, il y a aussi une lueur d'espoir, une promesse de renouveau.

 

Car nous savons, au plus profond de nous-mêmes, que ce n'est pas la fin mais le début d'une nouvelle aventure. Comme des phénix renaissant de nos propres cendres, nous nous préparons à nous envoler vers de nouveaux horizons, à explorer de nouveaux mondes de l'imagination, à nous réinventer encore et encore.

 

Mais pour cela, il faut d'abord accepter de mourir un peu à soi-même. Il faut avoir le courage de laisser derrière nous ce que nous étions, pour embrasser ce que nous pourrions devenir. C'est un acte de foi, un saut dans l'inconnu, mais c'est aussi ce qui fait de nous des artistes, des créateurs de rêves dans un monde de réalités.

 

Alors, dans le silence des coulisses, nous nous tenons la main, nous nous regardons dans les yeux, et nous sourions. Car même si la nuit est sombre, même si le chemin est incertain, nous savons que nous ne sommes pas seuls. Nous sommes des acteurs, des magiciens de l'âme, des maîtres de l'entertainment et tant que nous aurons une scène à fouler, tant que nous aurons un public à émouvoir, nous serons immortels.

 

21 avril 2024 (à l’occasion de la dernière de L’Argent de la vieille au Théâtre Libre, Paris)

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