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18 mars 2018 7 18 /03 /mars /2018 00:45
Du fétichisme nazi, de la liberté de créer et du danger mortel de la moralisation généralisée
 
 
Gilbert Collard, ancien membre de la SFIO, puis du parti socialiste, ancien candidat centre-droit puis depuis 2012 élu FN, qualifie Jean-Marie le Pen de « fétichiste nazi ». C’est un peu la peste qui se moque du choléra. Cette déclaration serait purement puérile et anodine si elle n’était pas tout à fait dans l’air du temps. Et c’est cette mode contemporaine, chez certains politiques de tous bords (individuellement de tous bords successifs comme Gilbert Collard, ou collectivement) comme parmi les citoyens qui les ont élus, qui devient franchement inquiétante pour notre démocratie et surtout pour les artistes, l’art et la liberté d’expression.
 
Pourquoi Collard, l'un des "dédiabolisateurs" du FN, attaque-t-il Jean-Marie le Pen sur cette question de fétichisme nazi ? Parce que le Pen possèderait deux statuettes reproduisant des sculptures d’Arno Breker, qui fut le sculpteur officiel du IIIe Reich. Quand on connait la carrière dudit Jean-Marie le Pen, on a envie de rigoler : la possession des ces statuettes serait plutôt un détail de sa biographie.
 
Le problème n’est en effet pas dans la possession d’œuvres d’Arno Breker : il est clairement dans le fait de manier des idées nauséabondes qui nous ramènent soixante ans en arrière. Collard ne possède peut-être pas d’œuvres de Breker, mais il manie des concepts similaires à ceux du fondateur du FN.
 
Peut-on conclure que le propriétaire de malheureuses reproductions, voire d’œuvres originales d’Arno Breker est un fétichiste nazi ? On peut toujours si l'on est court sur neurones. Arno Breker n’a jamais défendu les causes des nazis, mais il a, par opportunisme et par mégalomanie, accepté les commandes et les honneurs des dirigeants allemands du IIIe Reich. J’en ai parlé avec lui à chacune de nos rencontres à la fin des années 1980 et il n’a jamais voulu reconnaître au moins une erreur de jugement. Il insistait sur ses interventions auprès de Hitler qui lui permirent de sauver des vies d’artistes français parmi ses amis. Ce qui est aussi vrai.
 
Arno Breker n’a pas eu une vie tout à fait exemplaire. Mais il a été un artiste avant Hitler et il le fut après. J’ai des amis allemands qui sont de fervents sociaux-démocrates, très impliqués au sein du SPD, qui possèdent comme moi dessins, lithographies ou sculptures de Breker et qui savent faire la différence entre l’homme, sa vie imparfaite et son œuvre. Ils ne sont pas pour autant des fétichistes nazis.
 
On peut donc penser, si l’on pense peu, que tout esthète qui reconnait du talent à un artiste proche des milieux nazis est un hitlérien qui se cache, ou qui s’ignore. Mais il faut alors se résigner à ce que les lecteurs de Céline aient tous des âmes de collaborateurs, à ce que les admirateurs de la poésie de Maïakovski soient tous nostalgiques de Staline et les fans de Bertrand Cantat comme les lecteurs de François Villon (non, pas Fillon) d’affreux assassins en puissance.
 
Il n’en est évidemment rien. Le jugement artistique est un jugement sur la forme, pas sur la morale. Cela semble un peu oublié dans la France actuelle, même parfois dans les médias que nous avions pris l'habitude de respecter. Sinon, que ferait-on de l’œuvre de Jean Genet ? Faudrait-il boycotter Albertine Sarrazin, déjà bien peu lue aujourd'hui ? Cesser de lire Klaus Mann, le courageux antinazi allemand, parce qu’il s’engagea comme GI du côté américain, un pays où, comme il l’écrivait à sa mère, « si l’on faisait dormir les GI noirs avec les blancs, les seconds tueraient les premiers » ?
 
Savonarole, le justicier de la morale florentine, a eu tort de vivre sous les Médicis : il passerait toutes les semaines à l’émission de Ruquier s’il vivait aujourd’hui. Trop contemporain ! Très tendance.
 
On peut posséder des sculptures, des dessins dédicacés, avoir eu une correspondance avec Arno Breker et lui avoir rendu visite chez lui à la fin des années 1980 sans être fétichiste nazi et tout en lui préférant Ernst Ludwig Kirchner et les artistes « dégénérés » honnis par les nazis. C’est mon cas. On peut lire Céline et admirer son style sans être nostalgique de la collaboration. C’est mon cas. On peut admirer une œuvre sans aimer son auteur. C’est mon cas. On peut trouver que Leni Riefenstahl figure parmi les plus grands cinéastes du XXe siècle quand bien même elle fit des films sur commande pour Hitler. C’est mon cas. S’il ne fallait admirer que des artistes qui ont soutenu des démocraties parfaites, on ne saluerait qu’une poignée d’artistes scandinaves récents, et encore ! On peut aussi regarder des films où des gens fument sans avoir immédiatement envie de fumer, apprécier des polars sans se transformer en assassin ou regarder Alien sans se sentir immédiatement habité.
 
Si l’art devait être sage, moral et convenable, Pompidou n’aurait jamais fait bâtir Beaubourg, Lascaux n’aurait jamais existé, Picasso serait mort à la naissance, Michel-Ange n’aurait pas été convoqué par Léon X pour peindre la chapelle Sixtine et Pierre Soulages lui-même, auquel notre président rend visite en avion, aurait été décorateur pour maison bourgeoises. Il est urgent de réagir. De rendre à nos artistes leur droit le plus vital, le plus nécessaire, le plus « incontournable » : celui de scandaliser. Comme disait Pier Paolo Pasolini dans sa dernière interview, quelques heures avant sa mort : "Scandaliser est un droit ; être scandalisé est un plaisir ; refuser d’être scandalisé est une attitude moralisatrice."
 
Du fétichisme nazi, de la liberté de créer et du danger mortel de la moralisation généralisée
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