Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 février 2019 4 28 /02 /février /2019 16:29

À plusieurs reprises, Pasolini a signifié son attachement pour Naples : il l’a choisie comme cadre de son Decameron (1971) rythmé par des chansons napolitaines, il a travaillé avec Totò sur différents films et, si la mort n’était venue le prendre, il aurait collaboré avec Edoardo De Filippo. C’est surtout dans ses Lettere luterane, où Pasolini fustige la société contemporaine et montre que le progrès est un « faux progrès », que son affection pour Naples se révèle. La première partie de ce livre se veut un « trattatello pedagogico » destiné à Gennariello. Si l’auteur s’adresse à un jeune bourgeois napolitain, c’est parce que les Napolitains sont restés les mêmes et ont su ne pas se laisser anéantir et aliéner par l’Histoire qui avance tout en étant régressive. Pasolini entend montrer à Gennariello les désastres provoqués par la modernité et l’inciter à ne pas suivre les sirènes du progrès.

 

En marchant sans relâche dans les rues de Naples, en arpentant ses quartiers les moins recommandés et les moins reluisants, j’ai acquis une certitude profonde : Naples a su échapper à la modernité. Rien de moderne dans les échoppes des bouquinistes qui alignent leurs étals sur les pavés de Via Port’Alba, rien de moderne dans ses églises appuyées sur des fondations qui remontent à une période antérieure à la naissance de Rome, rien de moderne dans les catacombes qui lui tiennent lieu d’histoire, rien de moderne dans la silhouette du Vésuve qui orne le moindre bibelot souvenir. Quoi de moderne dans les ruelles des quartiers espagnols où le linge sèche aux fenêtres, quand ce n’est pas à même le trottoir ? Quoi de moderne dans le quartier de Rione y Sanità où l’on fait encore ses courses dans de petits commerces de proximité et pas dans l’anonymat d’un « drive », où l’on lave son carrelage à grande eau à toute heure du jour, où l’on se parle de fenêtre à fenêtre ? Quoi de moderne dans ces ruelles populaires de Naples où les vieilles gens font descendre un seau par le balcon pour le remonter en tirant sur une corde, rempli des victuailles que l’épicier du coin y a placées parce qu’il sait de quoi ses clients ont besoin ? Quoi de moderne dans cette proximité avec la mort que l’on croise dans les églises où l’on se plait à exposer des cadavres à moitié décomposés ou les reliques de saints qui vécurent plusieurs dizaines de générations avant nous ? Quoi de moderne dans l’exaltation des catacombes de San Gennaro ou de San Gaudioso, opérée par une poignée de jeunes gens qui veulent redorer le blason de leur quartier et de leur ville salie par la Camorra et ses ravages ? Naples a su garder, par-delà la modernité de l’époque et de ses technologies, l’âme d’une ville volontiers rebelle, toujours tolérante, accueillante comme pas deux, une sorte de vieille coquette sans maquillage, comme une exhibitionniste au pays des aveugles.

Partager cet article
Repost0

commentaires