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4 février 2022 5 04 /02 /février /2022 14:55

Y a-t-il un mystère Amanda Lear ? Le reportage qui sera diffusé vendredi 25 février sur Arte ne le lèvera pas. Parce que le mystère n’est présent que dans le regard des inattentifs, des incultes, des remplis de certitudes. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter ou de réécouter les interviews de la « diva androgyne » comme on l’appelle parfois. Tout y est dit. Tout y est dévoilé. Tout y est mis à nu.

 

Depuis les années 1970. Amanda Lear adopte l’attitude permanente de la strip-teaseuse. Au pays des aveugles, cet exhibitionnisme n’en est finalement pas un. Il y a même quelque chose de désespérant dans le fait de n'être jamais entendue, je suppose. Pourtant, ce n’est pas faute de s’y être essayée. Amanda Lear, on l’oublie souvent, a écrit elle-même la plupart de ses chansons. Qui a écouté ses textes ?

 

Il y est question, dès le départ, du temps qui passe, d’amour souvent, de sexe parfois, de solitude, de mélancolie, et bien sûr, en filigrane, derrière les mots, du besoin d’être reconnue, d’être aimée, de durée, de fidélité. Il y a derrière les mots de la diva, derrière ses attitudes exigeantes envers les journalistes les plus robotisés, non pas une insolence, non pas une agressivité, mais l’exigence professionnelle de qui fait les plus grands efforts, jour après jour, pour atteindre ses objectifs, et se voit niée, pour ne pas dire méprisée, dans la répétition des mêmes questions, des mêmes clichés, des mêmes stéréotypes.

 

Sa date de naissance ? Elle l’a oubliée. Les circonstances de sa jeunesse ? Refoulées. Il reste bien dans sa mémoire, sans doute, des odeurs de lavande, des chats, des ciels azurés qu’elle recherche toujours. Parce qu’Amanda Lear, quoi qu’on en pense, prouve derrière chaque réplique sa fidélité à ceux qu’elle aime. Qu’elle les aime en bavardant ou dans le silence le plus apaisant à l’ombre des Alpilles. Son âge ? Celle qui vit pleinement l’instant présent, sans jamais « profiter » se contente de glisser sur un temps dont nous savons qu’il n’existe pas. Elle entend toujours résonner des musiques militaires (Opium, qu’elle reprend dans son album Tuberose), elle entend toujours la voix de Dali récitant quelques vers de son ami Federico Garcia Lorca, elle entend toujours le murmure déchiré de l’être aimé. Oui, dans la plupart de ses interviews, Amanda Lear ne cache rien de ce qui est essentiel. Si elle est heureuse dans son mas provençal, dans son cimetière de chats, c’est qu’elle est une artiste avant tout, une femme qui peint dans le silence de son atelier, qui dit ses états d’âme à travers les couleurs du moment : griffures vives à l’encre de Chine, patchworks joyeux de couleurs apaisées, on peut suivre à la trace les mouvements de son âme.

 

Amanda répond avec franchise aux questions essentielles : bien sûr, cela va de soi, elle a toujours été femme. Mais elle peut aussi être homme, décidée et virile, avec un charme à la Dimash Kudaibergen niché dans chaque attitude, avec un regard inquiet et séducteur à la Garcia Lorca, elle peut aussi devenir le paysage qu’elle peint, les félins qu’elle adore, la lumière des fleurs qu’elle imagine et qui jaillissent de son cerveau comme un tsunami et emportent tout sur leur passage. Même ses chansons les plus légères en apparence dévoilent un pan de son âme. Dans les années 1980, elle célèbre ses Métamorphoses. C’est qu’Amanda Lear en vit de nombreuses, de profondes, d’essentielles. On la dit peintre, chanteuse, animatrice de télévision, je ne sais quoi encore. Tout cela n’est rien : les métamorphoses véritables sont intérieures. Elle était timide : elle se fait directe, ne blessant que par accident, avec remords. Elle était compliquée : elle se simplifie. Elle pouvait être superficielle comme nous tous. Elle creuse son sillon de manière constante et approfondit ses pensées, ses discours, ses actes mêmes. Elle semblait mondaine : elle était déjà solitaire. Amanda Lear à Saint-Rémy, c’est un peu Cocteau à Milly. « J’en pleurerais… » écrit le poète dans La Difficulté d’Être. Des choses à dire et des choses à ne pas dire. Le mot d’ordre, c’est l’amour. Passionnel, offert, jamais vraiment repris, fidèle, gratuit, bienveillant, inquiet par expérience, avec ou sans retour, ouvert, général, universel.

 

La superficialité s’éprouve dans les jugements, les éléments de langage infiniment répétés par ceux qui parlent d’elle sans savoir, la surdité, l’aveuglement de qui prend la mousse du temps pour l’essence des choses et des êtres. Amanda aussi pourrait affirmer : « Trente ans après ma mort, je me retirerai, fortune faite. » Le personnage public, auquel elle ne serrerait sans doute pas la main s’il advenait qu’elle le croise, la protège en quelque sorte : c’est sur lui qu’on frappe, pas sur la personne profonde qui échappe à chacun, comme nous tous.

 

Sa carrière magistrale et diverse fait dire à certains de ceux qui l’aiment qu’elle serait un monument. C’est un peu vrai. Une figure de la culture européenne et internationale. Mais un monument toujours en construction qui ne va pas cesser de sitôt de nous procurer des surprises.

Le mystère Amanda Lear ?
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