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30 janvier 2021 6 30 /01 /janvier /2021 14:34
Il y a dans la musique de Takumi Nakayama, ce saxophoniste japonais féru de jazz, la synthèse heureuse d'un Japon ouvert à tous les vents et à toutes les influences occidentales, un Japon qui correspondrait, dans le domaine de la littérature, à l'ère Taishô, qui vit éclore les Izumi Kyôka, Nagai Kafû, Edogawa Rampo, Tokuda Shûsei, Yokomistu Riichi, Hayama Yoshiki, Akutagawa Ryûnosuke, Mori Ôgai, Tayama Katai, Kaijii Motojirô, Tanizaki Junichiro. Takumi Nakayama navigue comme un petit bouchon sur un océan de musique secouée par les courants. Il semble s'en moquer, démontrant la singularité de l'artiste dans son époque, prouvant que le jazz qui est le sien s'affranchit en quelque sorte de son époque, dépasse ses contradictions et se nourrit de tout ce qui l'a précédé sans jamais s'y attacher. Nul revival, nulle nostalgie. Takumi Nakayama fait du neuf sans renier le passé. Il s'installe dans l'ici et maintenant d'une fort belle manière qui témoigne aussi de ses origines personnelles : un Japon moderne, qui a lui-même dépassé ses propres tiraillements idéologiques, qui n'a plus rien à prouver et qui respire le grand air qui flotte l'été sur la plage de Kamakura.
Le jazz de Takumi Nakayama respire la nuit d'été, les odeurs d'essence et de whisky japonais. "L’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi," écrivait Jean-Paul Sartre. Sans doute le philosophe aurait-il pu attribuer cet aphorisme à l'univers du jazzman. Mais Takumi Nakayama, par sa pratique musicale, le dément. Comme il dément Woody Allen qui écrivait avec humour : "L'homme est une créature prédestinée à exister dans son époque, même si ce n'est pas là qu'on rigole le plus." Le jeune jazzman, en effet, vit dans son époque quand il joue, mais il fait le lien avec celles qui ont précédé, tout en préparant l'avenir.
Car le jeune homme s'est affranchi des normes et des clichés. Le jazz de Nakayama, c'est ce que joue Takumi. Un point, c'est tout. Il ne souffre aucune étiquette. Car Takumi a beau être encore jeune, il a joué avec les plus grands, ceux de son pays comme ceux d'ailleurs. On l'a vu, sur les scènes tokyoïtes, aux côtés des plus grands, dans des noces musicales où son humilité transcende les individualités les plus fortes. Des cabarets de Shinjuku aux scènes américaines, Takumi inspire les foules et amène sur les visages des sourires qui semblent ne pas être de notre temps. Il imprime à toutes choses une légèreté, il distille grâce à sa musique une distance sur les choses de ce monde. Takumi Nakayama, c'est Alice aux pays de merveilles : "Mais alors," dit Alice, "si le monde n'a absolument aucun sens, qu'est-ce qui nous empêche d'en inventer un?"
Là est la clef de la musique de ce jeune homme. Il passe son temps à inventer un monde apaisé, doucement joyeux, discret, baigné de sons lascifs, sensuel en diable. S’il faut écouter Takumi Nakayama, c’est parce que son jazz est abordable sans jamais être gratuit, qu’il est une porte d’entrée accueillante vers ce genre musical si large et en apparence si difficile à cerner. Si vous cherchez à découvrir le jazz en commençant par le free d’Ornette Coleman, par l’album ESP de Miles Davis, ou par la géniale folie d’Hiromi Uehara, il y a de fortes chances pour que vous souffriez à la première écoute. Ça n’est pas le but. La musique de Takumi Nakayama, elle, est bien plus axée sur le son, sur ce souffle de saxo reconnaissable entre mille, dont la suavité n'est pas quelquefois sans évoquer Chet Baker… Chez le jazzman japonais, on n’entend pas la technique, alors qu’elle est bel et bien là.
Celles et ceux qui un tant soit peu d’admiration pour les rock stars et leurs parcours "dépravés", pour leurs histoires de tournées dingues, de groupies, de drogues et de prises de tête qui font parfois les légendes, dites-vous bien que le jazz n’a rien à leur envier. Pourtant, ce n'est pas du côté de l'autodestruction qu'il faut chercher Takumi Nakayama. S'il ne dédaigne pas un verre de Dom Pérignon, le jeune homme ne cherche visiblement pas à se dissoudre dans les nuits parfumées d'alcool de Shinjuku. Au contraire : il ne se débat pas dans les affres d'un individualisme forcené, il cherche à construire son oeuvre, à servir la musique, il se dévoue intégralement à un programme intérieur qui lui fait gravir peu à peu les marches de la gloire.
C'est dire qu'il faudra longtemps compter avec lui. Alors, autant ne pas attendre, puisqu'il faudra bien, un jour ou l'autre, écouter sa musique. Ne soyez pas à la traîne et plongez dans la musique de Takumi Nakayama, un verre de Suntory à la main. Fermez les yeux et regardez passer devant vous le ciel bleu d'Oiso qui règne sur le Pacifique.
Takumi Nakayama : le ciel bleu d'Oiso
Takumi Nakayama : le ciel bleu d'Oiso
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