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26 janvier 2019 6 26 /01 /janvier /2019 18:50
Des valeurs ajoutées ou retranchées

On met le mot valeur à toutes les sauces. L'autre jour, un type tout à fait bienveillant me parlait de ma valeur ajoutée. Je me suis permis de lui préciser que je ne me considérais pas comme un produit. J'ai aussi demandé à une amie très proche ce qu'elle entendait pas "valeur famille", la famille n'étant pas une valeur en soi, non pas seulement parce que la sphère familiale est aussi bien celle de la haine que de l'amour, du viol ou du meurtre que de la jalousie, mais parce que la famille n'a d'autres valeurs que celles qu'elle se donne et diffère selon les familles, les milieux sociaux, les choix religieux quand ils sont porteurs de valeur, ce qui n'est jamais sûr. Quant à la valeur travail, elle n'est jamais été autant évoquée par nos politique que depuis que le travail a perdu de sa valeur économique au profit du capital.

Malgré les doutes qu'elle exprime sur l'universalité des valeurs, l'œuvre de Max Weber offre néanmoins des ressources intéressantes pour surmonter certaines des difficultés qui viennent d'être évoquées. Pour Weber, en effet, toutes les valeurs n'appartiennent pas nécessairement au domaine de la morale. Les valeurs proprement éthiques sont historiquement liées, selon lui, aux religions du salut, et elles peuvent entrer en conflit, pour différentes raisons, avec d'autres « sphères de valeur », comme celles de l'économie, de la politique, de l'esthétique, de l'érotique et enfin de la science ou, plus généralement, de l'intellect. La distinction wébérienne des sphères de valeurs met ainsi en évidence la diversité des biens que les êtres humains peuvent rechercher, dont on voit en effet qu'ils n'appartiennent pas tous, loin s'en faut, au domaine des valeurs morales – le philosophe Emmanuel Kant avait du reste déjà attiré l'attention sur la distinction entre les biens sensibles et les biens moraux. Mais, par la même occasion, l'analyse wébérienne oblige à se demander ce qui assure le caractère proprement moral des valeurs, y compris lorsqu'il s'agit de valeurs religieuses. On admettra sans peine, par exemple, que l'éthique religieuse de la fraternité ou le devoir d'assistance à tous ceux qui sont victimes d'une souffrance imméritée (Weber, 1915) se rattachent d'une façon ou d'une autre à une axiologie morale. En revanche, on ne voit pas très bien en quoi le refus religieux du monde ou l'ascétisme intramondain, ou encore ce que Weber appelle la « barbarie éthique » qui consiste à imposer au monde les desseins de Dieu tels qu'on les conçoit seraient ipso facto des valeurs morales. De même que les valeurs économiques, hédonistes ou ludiques ne relèvent pas forcément de l'éthique, il n'y a en fin de compte aucune raison de penser que les valeurs religieuses seraient détentrices par nature, pour ainsi dire, d'un brevet de moralité.

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