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10 novembre 2020 2 10 /11 /novembre /2020 07:49
Keiichiro Hirano, Avec le temps En relisant des textes plus ou moins anciens (d'une ancienneté relative cependant) de Keiichiro Hirano, je tombe, dans le beau recueil de photos de Lucille Reyboz, "Impressions du Japon" (photos que je dois faire un effort pour voir, toutefois, tant je suis captivé par le texte), sur le passage d'apparence anodine qui suit. Le texte est censé accompagner les photos du Japon vu par une française. Bien sûr, comme Roland Barthes qui, en croyant écrire sur la culture japonaise ("Le Centre vide") nous dévoile en fait la culture française aux fondements de son regard, les photos de Lucille Reyboz nous révèlent, par l'angle sur lequel elle place son objectif, par le cadre qu'elle impose aux choses, le pays dont elle est originaire. Quant à Keiichiro Hirano, sur lequel je me penche dans le but d'un prochain livre qui me guidera où il voudra, il me semble que je cherche dans ses textes une petite fenêtre ouvrant sur une lumière qui me permettra de savoir comment l'aborder, une "révélation", la graine qui donnera le gingko de son existence et de son oeuvre. Je n'imagine pas qu'il puisse se relâcher le moins du monde dans son écriture toujours maîtrisée, travaillée, une écriture qui marche, comment aurait dit Cocteau, une écriture qui "boîte" au sens des nombres impairs ou du flamenco, une écriture qui brûle, une scène originelle, fondatrice, nourricière, comme l'eau du Grand Canal à Venise. Mais Keiichiro Hirano n'est jamais un écrivain du laisser-aller, il sait se tenir et tenir son écriture, il est le tuteur de lui-même, comme s'il avait peur de lâcher prise, de se disperser, de se fluidifier, de se perdre.
 
Au détour d'une page, pourtant, son texte qui accompagne les photos semble se détacher, prendre son envol, vivre une vie autonome, comme si une force en lui avait soudain pris le pouvoir, comme s'il ne s'appartenait pas, comme s'il ne décidait rien de sa vie, comme s'il était l'otage des forces qui l'animent. Un de ces petits rien qui est déjà beaucoup, comme aurait dit l'autre. Une image tombée d'un album et qui bouge, un peu, à peine, sous un soleil qui éblouit mais qui n'est pas dit, et dans un paysage marin au bord de la noyade, où frappe le mot qui manque.
 
Une image de vie qui flirte avec la mort, une mort discrète, légère, pas encombrante bien qu'omniprésente, où j'entrevois enfin ce qui, dans l'oeuvre de Keiichiro Hirano me séduit au-delà du texte lui-même : l'expression d'un mystère, d'une quête, d'une douleur contenue, d'une mélancolie, d'une insupportable et tragique impermanence.
 
L'esprit de Keiichiro Hirano est comme une allégorie du roman de Yasunari Kawabata, "La Beauté, tôt vouée à se défaire", à moins que ce ne soit l'inverse. Une photo qui s'efface. L'irréalité du réel. Certains n'y verront qu'une description sensible mais banale. La vérité d'un être, si nue qu'elle soit, n'excite guère les hommes qui ne savent entendre. "Mes grands-parents, ma mère, ma soeur et d'autres membres de la famille bavardaient à bâtons rompus en buvant des jus de fruits, du thé et de la bière en canettes. J'ai complètement oublié sur quoi portaient ces conversations. De mon côté, excité par la mer, je grignotai à peine quelques boulettes de riz avant de me mettre à courir sur la plage. Passé la fête d'O-bon, on ne pouvait plus nager à cause des méduses qui envahissaient la côte, mais je pouvais néanmoins patauger dans l'eau jusqu'aux genoux, et creuser des tunnels dans le sable. "Quand le jour commençait à baisser, ma mère s'inquiétait. "Reviens!" me criait-elle. Je me retournais : toute la famille avait les yeux fixés dans ma direction. Aujourd'hui encore, ces silhouettes imprécises veillent sur moi, du fond de l'obscurité de ma mémoire."
Keiichiro Hirano : Avec le temps
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